Sur fond de lutte antiterroriste et de colère des “gilets jaunes”: Le film amazigh s’expose en France

Sur fond de lutte antiterroriste et de colère des “gilets jaunes”: Le film amazigh s’expose en France

Roissy Charles-de-Gaulle. On assiste à un bal d’atterrissage et de décollage incessant. Un avion nous vomit pour que l’on soit avalé par un serpent insatiable qui nous rejette au centre-ville. Paris, en cette fin de novembre, toute décorée en perspective des fêtes de fin d’année, vit sous le rythme d’une pluie fine qui ralentit la circulation, remplit les magasins et impose un stress visible chez les Parisiens. Les menaces de violence annoncées par les “Gilets jaunes” pour le week-end ne semblent pas déranger les foules. Pourtant, elles sont là.

La gare du Nord grouille de monde en ce vendredi de fin de semaine. La gare de l’Est l’est encore plus.  Au milieu d’une foule compacte et rivée sur le tableau des départs, un homme débonnaire, allure droite et pressé malgré son âge avancé, se fraie un chemin et rejoint le quai en direction de Metz. Le chef de gare lui fait signe de se presser.

Une fois devant lui, le fonctionnaire des chemins de fer esquisse un grand sourire et lui lance joyeusement en kabyle “C’est Kamel Hamadi en personne !” et le voyageur lui répond : “Oui”. Après un bref échange, l’artiste algérien s’est fait avaler par le train Ouigo.

À peine installé, il commence à penser au 4es Journées du film amazigh d’Ars-sur-Moselle dont il est le président d’honneur et qui se sont déroulées du 23 au 27 octobre au cinéma Union d’Ars-sur-Moselle. Il y verra le film Kamal Hamadi, Ger Yenzizen dont il est le protagoniste, réalisé par Abderazak Larbi Chérif. Noyé dans ses pensées et tentant de récupérer un peu d’énergie, suite la soirée qu’il venait d’animer la veille à Paris, un homme vient l’arracher à ses rêveries. Il s’agit de Nadir Dendoune, réalisateur du documentaire Des figues en avril, qui voyage avec sa mère, objet du film qu’il présentera aux JFA. Il l’informe que sa mère l’adore et l’invite à se joindre à eux. Il y découvre une femme kabyle de presque quatre-vingts ans qui a été élevée dans un quartier populaire parisien. Contrainte de se séparer de son mari, placé par force dans une maison de retraite, elle devient par un parcours de circonstances le personnage fort d’un film dont elle accompagne ses présentations à travers l’Hexagone.

À leur arrivée au cinéma Union, ils sont accueillis par une communauté kabyle et de cinéphiles mosellans avec chaleur. Ils y ont trouvé des invités de Tunisie, d’Algérie, de France et du Maroc. Le film Razzia de Nabil Ayouche, présenté en ouverture, a été bien suivi. Il dresse un tableau des maux d’un Maroc déchiré par ses contradictions : berbères, juifs, arabes, femmes, prostitution, fracture sociale, pauvreté, etc. Le festival sera clôturé par Certifié Halal de Mahmoud Zemmouri, à qui on rendra hommage. Après un couscous partagé avec convivialité, on s’offre une petite pause et on prend un journal du jour précédent, posé hasardeusement par un festivalier distrait. Les gros titres annoncent les manifestations des “Gilets jaunes” à travers la France et les manœuvres militaires engagées par la France au Mali.

En effet, ce samedi-là, pendant que les militaires français déploient de gros moyens au Mali pour éliminer Hamadou Kouffa, chef terroriste notoire, les Champs-Élysées, la plus romantique des rues, flambe, dès 11h du matin. Ils deviennent le théâtre de violents affrontements entre les forces de l’ordre et des manifestants. Des barricades sont montées, des voitures brûlées et des pavés sont arrachés et utilisés comme projectiles. Les forces de l’ordre répliquent par des bombes lacrymogènes. L’atmosphère rappelle fortement un certain mai 68. Les politiques agissent avec prudence. Tout le monde s’accorde à dire que ce mouvement inédit, même si des groupes extrémistes y ont mis leur grain de sel, est incontrôlable et imprévisible. C’est la colère de la France et la grogne des Français sur qui pèse le poids de la mondialisation. C’est dans ce climat de tension que le réalisateur italien Bertolucci a tiré sa révérence. Il a laissé quelques bijoux cinématographiques dont Un thé au Sahara qu’il a tourné, entre autres, à Beni Abbès qui se souvient toujours de cette “dune de la honte” où Debra Winger et John Malkovich se sont embrassés.

C’est les cris de René Parmentier, “chef de gare” comme il aime s’appeler, qui vient nous arracher à notre lecture, nous invitant à rejoindre sa belle salle où les présentations de films ont commencé. René est facilement repérable dans cette petite ville qui a commencé à accueillir des Bougiotes depuis le début du siècle pour travailler dans l’usine des Forges et boulonneries d’Ars-sur-Moselle, créées en 1840, et spécialisées dans la fabrication de boulons. C’est ainsi que les enfants de la Kabylie ont alimenté par leur travail les chemins de fer en France, mais également les économies du Brésil, du Congo et du Mexique. Aujourd’hui, leurs descendants ont fait des études et occupent des postes importants dans la région et au Luxembourg.

Hanine et Makhlouf, avec le soutien de plusieurs femmes bénévoles, en font partie. C’est eux qui sont derrière les JFA, accueillies aux débuts avec méfiance par René avant d’en devenir le fer de lance. Il avoue qu’il était un peu raciste et que ce festival l’a totalement aidé à éliminer les relents de ce sentiment provoqué par la méconnaissance de l’Autre.

René gère la salle l’Union, résistant encore aux géants et aux multiplex qui ont fini par s’installer dans la région. La menace est réelle. Pour y parer, il a inventé le concept de “Pétition vivante” qui invite les gens à venir payer leur place et voir des films afin que ce lieu qui date du début du siècle puisse continuer à vivre. Ils sont plusieurs bénévoles à lui donner vie. Une bande de copains qui s’engueulent, discutent, rigolent, collaborent et répandent la magie dans une ville oubliée par la métropole. Pour Gilette, conseillère municipale, les raisons de la contestation des “Gilets jaunes” sont à chercher surtout dans cet oubli, notamment avec le nouveau découpage administratif, mis en place sous la présidence de Hollande, qui a accentué l’indifférence de l’État central vis-à-vis de la démocratie de proximité. “Les maires perdent de plus en plus de pouvoir alors que les citoyens les interpellent quotidiennement au sujet de leurs soucis. Impuissants, ils sont nombreux à ne plus vouloir se représenter. Et cela est aussi inédit que grave en France”, explique-t-elle.

C’est encore le “chef de gare” qui vient nous interrompre. Le film commence.

La salle est pleine. D’abord, c’est Mme Dendoune qui expose son intimité, sa vie, ses anciens et futurs espoirs devant une salle composée essentiellement de femmes dont les parcours sont similaires. Le débat est émouvant. À la fin, à tout seigneur, tout honneur ! Place au maestro Kamal Hamadi. Le public le connaît pour être chanteur et surtout parolier de sa regrettée femme Noura. Et là, grâce à Abderazak Larbi Chérif, la salle découvre les multiples facettes de ce génie qui a propulsé beaucoup de stars sur scène tout en restant à l’aise dans l’ombre.

Le film révèle, entre autres, un artiste complet qui a pu émouvoir El-Anka avec Ami Azzizen, gagner la confiance de Slimane Azem, séduit la génération de Driassa, fait connaître Mami avec notamment Wech Tsalini et compose toujours pour de jeunes chanteuses comme la Parisienne Nabila Dali et la Montréalaise Zahia. La salle l’avait inondé de questions sur son passé, mais il ne cesse de se projeter dans l’avenir en rêvant de créations et d’innovations.

Après le débat, on fait une virée au bar du village. Dès notre arrivée, on a eu droit à un accueil chaleureux. On discute autour d’une tournée de bières qui facilite la libération de la parole. Nous sommes souvent interrompus par des salutations d’inconnus qui se montrent amicaux et chaleureux. Certains même nous invitent à boire quelque chose. Des comportements inimaginables dans les grandes villes. Sur les visages se lit le poids de la dureté et la simplicité d’une vie qui est quasiment absente du cinéma français.

Juste après, c’est un autre créateur, Mahmoud Zemmouri, qui est mis à l’honneur avec la projection de Certifié hallal. Un film humoristique qui a plu à l’auditoire. Des discussions se sont prolongées lors de l’apéritif de clôture avec la productrice, Marie-Laurence Attias. Malgré l’ambiance festive qui y régnait, quelques esprits ne pouvaient pas s’empêcher de parler des “Gilets jaunes”. D’ailleurs la réalisatrice Lydia Terki, qui est venue présenter son film Paris la blanche dont le rôle principal a été campé par Tassadit Mandi, s’est même déplacée pour rendre visite aux manifestants metziens.

Le lendemain, les Metziens reprennent leur quotidien et René à rêver de la continuité de sa “pétition vivante”. Notre train file à toute vitesse. À travers ses fenêtres se dévoile la campagne française avec ses vaches, ses verdures et ses petites gens.

Une pause à Paris nous a permis de revoir la réalisatrice tunisienne, Jihane Ayari et le réalisateur libyen, Azrou Magoura. Les deux ont présenté leurs films aux JFA et quitté leur pays pour continuer à rêver en films. La première, ayant estimé ses chances réduites dans une Tunisie post-révolutionnaire, s’est installée en Égypte, le second a obtenu l’asile en France après avoir été kidnappé par des groupes armés en Libye lors de l’exercice de son métier de journaliste. Aujourd’hui, Azrou vit au milieu des Français de la métropole qui se réjouissent de lire dans la presse l’élimination d’un groupe terroriste au Mali par l’opération Barkhane.

À Orly, un oiseau métallique nous prête ses ailes pour voler au-dessus des nuages. Delà, on peut voir les Gaulois en miniature se préparer à vivre les réjouissances de fin d’année dans un contexte d’incertitude et de craintes des nouvelles augmentations annoncées pour le début de l’année. Et on peut d’ores et déjà leur souhaiter un joyeux Noël et une bonne et heureuse année pleine de bons films !