Salon international du livre d’Alger: Et j’ai même rencontré un Ferhat Abbas heureux

Salon international du livre d’Alger: Et j’ai même rencontré un Ferhat Abbas heureux

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Il était là au stand des Editions Casbah où l’essentiel de ses titres trônait. Le visage allongé, osseux, au nez aquilin, le regard sombre sous le sourcil dru et le geste large, il symbolise à merveille, c’est Jean Lacouture qui souligne, l’histoire de la recherche d’une patrie, dans la France, puis avec la France, et puis hors de la France, voire contre la France.

S’il fut l’un des rares musulmans à avoir accompli des études universitaires durant la période coloniale, Ferhat Abbas n’en restera pas moins du côté des humbles, de la société globale algérienne dont il comprendra très vite la grandeur. Pourtant, les fureurs d’Alger ne se répercutent guère en petite Kabylie où, depuis la répression de 1871, règne un ordre qui ressemble presque à de la sérénité. Evolué, Ferhat Abbas est naturellement partisan de l’assimilation durant cette période. C’est l’esprit du temps, davantage qu’une tare, feront judicieusement remarquer Zakya Daoud et Benjamin Stora, dont on lui fera toujours grief. Devenu par la suite, et dans le cadre des exacerbations des contradictions entre la caste coloniale et la société globale algérienne, l’avocat d’une révolution sanglante, il n’a choisi de plaider cette cause qu’après s’être battu, un quart de siècle durant, pour imposer le réformisme et la non-violence, le refus des solutions extrêmes, la volonté intrépide d’un compromis avec la France… Mais en vain… L’histoire de la vie de Ferhat Abbas, comme celle de la France contemporaine, ne prouve qu’une chose, écrira Jean Lacouture, et le général de Gaulle l’a comprise mieux que beaucoup d’autres: ´´C’est que les peuples ont besoin de dignité et que l’un des attributs de cette dignité, c’est l’appartenance à un groupe national reconnu comme tel. Elle montre aussi qu’à leur disputer ce droit, s’ils le revendiquent pleinement, on se condamne à de cruels déboires.

Ces autres déboires, le premier président du GPRA les connaîtra après l’indépendance, notamment après le coup de force du 19 juin 1965 date à laquelle il sera exclu du FLN non sans avoir déclaré, lit-on dans L’Indépendance confisquée: «Ce n’est pas par la duplicité, l’hypocrisie et la mauvaise foi qu’on éduque un peuple et qu’on prépare son avenir.» Il connaîtra les affres des geôles d’Adrar avant d’être libéré en mai 1965. Fidèle à ses idées, il sortira de son mutisme en mars 1976 date à laquelle il rédigera avec Benyoucef Benkhedda, Hocine Lahouel et Mohamed Kheïreddine un «Appel au peuple algérien» réclamant des mesures urgentes de démocratisation et dénonçant «le pouvoir personnel» et la Charte nationale de Boumediene. Ce qui lui vaut d’être assigné à résidence jusqu’au 13 juin 1978 avant d’être rétabli dans ses droits historiques par le président Chadli Bendjedid, le 30 octobre 1984. Du «Manifeste du peuple algérien», commis le 10 février 1943, à «l’Appel au peuple algérien», il y a comme une continuité. Pour l’auteur de «L’Indépendance confisquée», la politique est avant tout affaire d’honneur. Il faut savoir tenir ses engagements et faire taire ses égoïsmes. C’est ainsi, estimait-il, qu’on se hausse au rang de serviteur du peuple. Un peuple dont il recevra la jeunesse en ce Salon international du livre béni et à laquelle il transmettra grâce à ses nombreux ouvrages un message d’une portée indéniable.

Le souvenir de l’abbé Bérenguer

Les ouvrages de Benjamin Stora étaient en force au Sila. Ils côtoyaient ceux de Ferhat Abbas. Contrairement à ce que pensent certains esprits chagrins, j’ai beaucoup de respect pour Benjamin Stora. C’est le cousin d’abord, même s’il a opté pour la France au lendemain de l’indépendance contrairement à l’écrasante majorité de la communauté juive restée en force dans son pays de toujours pour contribuer à sa reconstruction. C’est l’historien ensuite, qui aura tenté avec détermination de briser le silence opaque imposé par l’impérialisme français à la question algérienne. Mais non sans maladresse, je l’avoue, car son rapport à l’histoire du Mouvement national n’est pas sans ambiguïté. S’agissant des fondements de la révolution algérienne comme de son parti pris équivoque au profit du messalisme, son péché mignon consistant à privilégier les contradictions secondaires au sein de la société algérienne (FLN/MNA) au détriment de celle principale opposant pourtant un peuple aspirant à l’Indépendance nationale à la caste coloniale. Je peux citer aussi quelques malheureux raccourcis empruntés allègrement par son film. Celui, par exemple, qui soutient que si la résolution sur le droit à l’autodétermination du peuple algérien a été votée, cela est dû essentiellement à quelques pays africains et à la Chine communiste.

Une grande nation où les responsables du GPRA ont été royalement reçus par le président Mao Zedong et Chou En-laï, son Premier ministre. Alors que le mérite singulier en revient à l’abbé Bérenguer, un curé algérien dévoué à la cause nationale, et au vote décisif de pays latino-américains qu’il a sensibilisés autour de la question algérienne. Cela, nonobstant les déboires et les obstacles que les services français dresseront devant lui afin de l’empêcher d’accomplir sa mission. Le général de Gaulle ira même jusqu’à désigner André Malraux, fort de son aura d’intellectuel, pour endiguer l’audience de ses activités en faveur de la lutte pour la libération du peuple algérien. Les innombrables pérégrinations en Amérique latine de cet ambassadeur de la Révolution algérienne, grand ami de Fidel Castro et de Che Guevara, finiront par porter leurs fruits et seront, avec la manifestation populaire du 11 Décembre 1960 à Alger, derrière le vote de l’essentiel des pays de la région en faveur du droit à l’autodétermination du peuple algérien aux Nations unies. Juste au moment où la lutte armée commençait à afficher son essoufflement à l’instigation d’une répression aveugle. Assurément, cette 23ème édition du Sila donne l’impression d’être placée sous le signe des retrouvailles. D’abord avec la Chine, une grande nation qui a été de tous temps aux côtés de l’Algérie, parmi les premières à avoir reconnu et soutenu la Révolution nationale du 1er Novembre 1954, prêté main forte à au processus d’édification nationale.

L’exemple de la Chine

Un exemple à suivre dans le domaine de d’édition nationale, de la promotion du livre et des industries graphiques. Forte de 585 maisons d’édition-pour la plupart privées-la Chine, invité-d’honneur du 23e Salon international du livre d’Alger (Sila), se pose en leader mondial dans l’édition et l’imprimerie, est-il souligné dans une des publications du Sila: «Avec un chiffre d’affaires estimé à plus de 8 milliards d’euros, la Chine où fut découvert au VIIIe av. J.-C. le plus ancien papier en fibres de lin, occupe la première place au plan mondial avec quelque 255.000 nouveaux titres édités annuellement.» Les ventes de livres, qui se sont chiffrées en 2017 à plus de 9 milliards d’exemplaires, confortent le taux élevé de lectorat dans ce pays de plus de 1,3 milliard d’habitants, rapportent les mêmes sources. Des chiffres qui nous rassurent sur les avancées d’un peuple ami qui a su faire de la pensée de Mao Zedong, et ce depuis la Longue Marche de Yenan, le socle de son devenir et le fer de lance de toutes ses réalisations. Ce n’est pas sans raison si un de nos confères de Chine Nouvelle écrivait, à juste titre d’ailleurs:

«La Chine considère l’innovation comme l’un des principaux moteurs de son économie et fait de son mieux pour promouvoir l’innovation dans les industries, l’éducation et la gouvernance. Mais aucune nation ne peut prospérer sur l’innovation si ses citoyens n’aiment pas lire.» Azzedine Mihoubi, le ministre algérien de la Culture, l’a suffisamment compris pour appeler de tous ses voeux à une véritable coopération entre son pays et celui honoré par la présente édition du Sila. Autres retrouvailles reflétant à merveille les véritables intentions des organisateurs, la présence au Sila d’un grand ami de l’Algérie. Je veux parler de Costa Gavras venu présenter son livre Mémoires: Va où il est impossible d’aller (Seuil, 2018) mais aussi un grand film, Z dans sa version numérisée. Adaptation d’un roman traitant de l’assassinat du député grec Grigóris Lambrákis, Z est une dénonciation du pouvoir dictatorial en ce qu’il tente de restreindre les libertés de l’opposition.

Hésitant entre un ton sérieux et un autre plus sarcastique, le film ne parvient pas à dépasser la simple illustration d’un système totalitaire en faisant de ses personnages de simples stéréotypes, déterminés par deux ou trois caractéristiques, qui ne suffisent pas à incarner les différentes figures et surtout à rendre cette histoire complexe. Si le film est en partie plombé par son schématisme politique, il se rattrape néanmoins grâce à un vrai sens du rythme, qui donne à l’enquête menée par le juge d’instruction (Trintignant impeccable) une belle intensité.

Une grande distribution aussi où Jorge Semprun et Ben Barzman pour le scénario, Yves Montand, Jean-Louis Trintignant, Irène Papas et Jacques Perrin pour l’interprétation donnent à cette oeuvre à mi-chemin du thriller et du film politique une dimension certaine qui n’échappe pas pour autant au manichéisme cher aux films américains. Le cinéphile que je suis se rappelle les années 80, date à laquelle il était responsable de la Cinémathèque française, président de festivals (Berlin, Deauville…). Portant une affection insondable à l’Algérie, il y produira Mon Colonel (2006) de Laurent Herbiet et Maintenant ils peuvent venir (2015) de Salem Brahimi.