Projection au FICA du court métrage «Black Spirit»: Esprit vagabond…

Projection au FICA du court métrage «Black Spirit»: Esprit vagabond…

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La salle Ibn Zeydoun a accueilli, mardi, un court métrage algérien bien intrigant et original, signé du réalisateur Chakib Taleb- Bendiab.

Cette projection rentre dans la section «Fenêtre sur court» instaurée depuis l’année dernière par le Festival international du cinéma d’Alger. «Cela nous permet avec les moyens dont nous disposons de découvrir des jeunes talents. Chakib en est un. Mais on a des films, vraiment des petits bijoux. Cela veut dire qu’un festival du film engagé se doit aussi de précéder l’histoire et de dire, ‘celui-là, je vois en lui quelqu’un qui peut arriver ».

Si on avait plus de moyens, on aurait pu, l’année prochaine, ouvrir une troisième salle et consacrer toute une sélection au court métrage et moyen métrage fiction et documentaire et avoir un troisième jury. Mais on ne veut pas se mettre à un niveau d’incompétence. Si nous n’avons pas les moyens de notre politique, eh bien, on ne veut pas retomber vers le bas.

Cette année nous avons choisi cinq films courts métrages pour dire l’avenir et ouvrir des fenêtres sur les jeunes talents. Et j’espère que le film sera très représentatif», dira en préambule Ahmed Bedjaoui, le directeur artistique du Fica. Pour sa part, le réalisateur fera remarquer que son film en est à son 22e festival maintenant et qu’il est «fier de le fêter à Alger».

Et de préciser: «C’est inspiré d’une histoire vraie.» En effet, Black Spirit est en gros, l’histoire d’un anthropologue français qui part dans le désert à la recherche de samouraïs africains, persuadé qu’ils vont bientôt se réunir là-bas. Le film est réalisé tantôt en noir et blanc et tantôt en couleurs. Le film dissémine ça et là quelques éléments pour poser la trame de l’intrigue sans la dévoiler. Alors qu’il tente de persuader un spécialiste japonais de son hypothèse, ce dernier le traite de fou. L’anthropologue arrive dans un hôtel et l’on entend au téléphone la voix d’une femme qui tente de s’enquérir de ses nouvelles en lui conseillant de prendre ses médicaments car il est malade. Arrivé dans le désert il croise un homme et finit par se perdre dans une tempête de sable et au moment où il perd connaissance il est accueilli par un groupe de samouraïs noirs qui le prennent sous une tente pour le soigner.

Est- ce le fruit de son imaginaire ou la réalité? Hallucination ou mysticisme? Nous ne le savons pas. L’esprit vagabond du réalisateur l’est en tout cas.

Assurément. Le film se termine encore plus sur une scène d’hypothèse qui refait l’histoire et nous pousse à penser à nouveau à cette histoire comme un cercle à l’infini, malgré les pistes que l’on peut reconstituer comme un puzzle. Le réalisateur qui laissera au spectateur la liberté d’interprétation n’a pas voulu donner une réponse claire, mais laisser le public à sa guise apporter son cours de réflexion. Un peu déroutant tout de même, ce film a d’orignal ainsi son côté hybride dans le sens où il réunit des nationalités différentes dont les probabilités de se rencontrer à l’écran sont infimes, mais aussi la manière de raconter cette histoire, à la fois basée sur la métaphore ou ellipse et les non-dits.

Une démarche enfin assez épurée au niveau de l’image avec une certaine obsession pour le thriller policier. L’histoire, telle écrite, se veut éclatée et non linéaire et nécessite d’autant plus un travail d’attention de la part du spectateur. Pour autant le calme ne précède jamais la tempête, mais lui succède dans le film de Chakib Taleb-Bendiab, tout comme le noir et blanc ne sert pas le flash-back, mais au contraire la réalité et les couleurs le contraste et l’accent sur la magie du désert qui peut faire perdre la raison ou la mémoire après une forte exposition au soleil. Mais il y a aussi la beauté du sable et ses mystères dont il aurait été un gâchis de ne pas les capter sous l’oeil de la caméra.

Autre originalité dans le filmage est le traveling arrière qui permet de révéler aux spectateurs des détails insoupçonnés qui incitent encore à faire la lecture à l’envers. Des prouesses techniques, formelles, mais surtout philosophiques autour de l’existence humaine. Tel un derwish tourneur qui tourne autour de lui-même jusqu’à l’essoufflement, il y a de cela un peu dans ce film et le réalisateur insistera par deux fois sur le mot «soufi» en faisant allusion à certaines séquences dans son film.

Pour notre part, il y a ce beau plan avant final, lorsque l’anthropologue est allongé par-terre souffrant et laisse échapper une larme alors qu’il est entouré de ces hommes bleus samouraïs. Etaient-ce des larmes de joie, de souffrance ou de soulagement? De délivrance ou de regret? Nous ne le savons pas.

Le réalisateur soulignera que cet homme était surtout en quête de lui -même d’où cet effroi jusqu’au lâcher prise lorsqu’on est à bout de souffle et au prisme de la fin de quelque chose. Ainsi, le cycle de la vie s’apparente à ce mythe des quatre lunes qui entourent le soleil afin de mettre en lumière la force du cosmos qui nous entoure et dont l’épicentre ne peut être que le coeur de l’homme. Pour info, «Akira Kurosawa a été mon inspirateur pour ce film», a indiqué le réalisateur qui a ajouté «pour moi c’est le plus grand réalisateur de tous les temps. J’ai utilisé ce qu’il a toujours enseigné. Il a dit qu’il faut toujours les quatre éléments dans un film, le sable, ça représente la Terre, le vent, l’eau à la fin de mon film et bien sûr le feu que l’on voit au moment de la cérémonie du thé, ce qui représente la renaissance.» Chakib Taleb-Bendiab a aussi révélé que tout le monde a travaillé gratuitement sur ce film. «On avait zéro budget, mais une équipe professionnelle. Et on a beaucoup travaillé.» L’histoire de Black Spirit est basée sur un fait véridique. Yasuke est le nom du premier samouraï africain. Un ancien esclave a été offert au seigneur Hosokawa, au Château de Kumamoto (Japon) en mars 1650.

Ce dernier va créer son propre clan d’esclaves affranchis. Les descendants de ce clan plus connus sous le nom d’Esprits noirs ou Kuro no Seishin en japonais, se disperseront dans toute l’Afrique tout en maintenant le culte du secret pendant plusieurs siècles… C’est du moins ce dont est convaincu notre éminent professeur qui décide d’aller coûte que coûte à leur recherche dans ce film où le métissage est roi. Réalisateur, scénariste et compositeur, Chakib, dont c’est le second court métrage après Sang-froid, se définit comme scénariste avant tout. Il a en effet écrit deux épisodes pour le compte de la série britannique «Go Dark» dont une sur la Syrie. Ils seront visibles d’ici 2020. Le réalisateur envisage de transformer Black Spirit (Esprit noir) en long métrage. Bouillonnant d’idées, on lui fait confiance pour nous surprendre davantage encore avec ses futures productions cinématographiques. Bon vent alors, pour de nouvelles aventures!