Philippines: Conchita Carpio-Morales, la championne anti-corruption n’a peur de rien

Philippines: Conchita Carpio-Morales, la championne anti-corruption n’a peur de rien

This picture taken on August 23, 2016 shows Philippine Ombudsman Conchita Carpio-Morales gesturing during an interview at the Office of the Ombudsman in Manila.
After four decades in the country's notoriously corrupt judiciary, Morales was looking forward to retirement when former president Benigno Aquino asked her to head a special body to prosecute corrupt officials as part of his centrepiece anti-graft crusade. On August 31, her "moral courage and commitment to justice in taking head-on one of the most intractable problems in the Philippines," is set to be recognised when she will be awarded the Ramon Magsaysay Award - Asia's version of the Nobel. / AFP / NOEL CELIS / TO GO WITH AFP STORY: "PHILIPPINES-CORRUPTION-POLITICS" / FEATURE by Ayee Macaraig        (Photo credit should read NOEL CELIS/AFP/Getty Images)La championne philippine de la lutte anticorruption n’a peur de rien, pas même de poursuivre les plus hauts personnages de l’Etat. Le courage de cette grand-mère de 75 ans qui se rit des menaces de mort doit être récompensé mercredi par un prestigieux prix asiatique.

Conchita Carpio-Morales dirige le service philippin spécialement chargé d’enquêter et de poursuivre les responsables politiques coupables de manquements dans leurs fonctions.

Elle pouffe en racontant à l’AFP comment elle a dû installer, à contre-coeur, une barrière plus élevée autour de sa maison en 2012: une grenade portant ses initiales avait été découverte devant chez elle.

« Je n’ai pas peur », dit-elle, donnant un coup de poing sur la table de son bureau, des éclairs dans les yeux. Les gens sur lesquels elle enquête « sont ceux qui sont intimidés ». « C’est pour ça qu’ils essayent de me faire peur ».

Dans l’archipel miné par une corruption endémique, le combat contre la pratique des dessous de table requiert un courage certain. Les témoins, voire les juges, sont régulièrement assassinés et des hommes politiques reconnus coupables sont libérés et réélus.

Mme Morales a passé 40 ans à servir l’institution judiciaire notoirement corrompue des Philippines mais où elle a gagné une réputation d’indépendance farouche. Elle s’attendait à partir en retraite lorsque l’ex-président Benigno Aquino lui demanda de prendre la tête du bureau de l’Ombudsman, chargé de la lutte anticorruption.

Elle se verra décerner mercredi soir le prix Ramon Magsaysay, le « Nobel asiatique », qui récompensera « son courage moral et son engagement en faveur de la justice pour avoir pris de front l’un des problèmes les plus insolubles des Philippines ». « Tout simplement, c’est une fonctionnaire enthousiasmante », ont écrit les juges.

Née dans une famille d’avocats, Mme Morales a gravi les échelons avec quelques difficultés en raison de son caractère incorruptible. Elle réussit cependant à faire son entrée à la Cour suprême, devenant la première magistrate femme à introniser un président en 2010.

– Faire tomber les « vaches sacrées » –

Travailleuse acharnée, elle fait aujourd’hui des journées de 12 heures, six jours sur sept –le dimanche étant consacré à ses petits-enfants. Sa rigueur est réputée avoir porté le taux de reconnaissance de culpabilité obtenu par son service à 75%, contre 41% à son arrivée en 2011.

Malgré des progrès sous la présidence Aquino, le combat n’est pas facile, la corruption s’épanouit lorsque les gens pensent qu’ils sont intouchables, souligne-t-elle.

« Nous lançons des poursuites contre de hauts responsables du gouvernement », explique Mme Morales. Lorsque les « soit-disant vaches sacrées sont inculpées, cela doit représenter un avertissement aux gens pour qu’ils soient plus prudents ».

L’une de ses plus grandes déceptions fut de voir la Cour suprême libérer en juillet l’ancienne présidente Gloria Arroyo, un an après avoir élargi le puissant ex-sénateur Juan Ponce Enrile, malgré ce qu’elle qualifie de dossiers en béton sur des faits de corruption.

Les deux avaient mis en avant leur mauvais état de santé et se trouvaient depuis des années en détention sous le régime de l’hospitalisation, mais, affirme Mme Morales, tout ça n’était que du flan: « après qu’on est libéré (…), on se pavane ».

Sa ténacité lui a valu de nombreux ennemis, dont l’ancien vice-président Jejomar Binay, qui l’avait qualifiée de « stupide » lorsqu’elle l’avait accusé d’avoir accepté d’énormes pots de vin alors qu’il était maire.

Certains d’entre eux ont utilisé le décès de son fils, mort en 2015 d’un cancer à l’âge de 41 ans, pour l’attaquer. « Ils ont dit que c’était mon karma. Vous voyez la cruauté des gens ? », demande-t-elle, se disant « forte » toutefois.

Son mandat se poursuit jusqu’en 2018 et si la présidence est désormais assurée par Rodrigo Duterte, elle reste impartiale. « Nous ne prenons nos ordres de personne. Nous sommes indépendants. Point. »