Oran: Le CRA au chevet des sans-abri

Oran:  Le CRA au chevet des sans-abri

Malgré les difficultés qu’il rencontre pour la collecte des dons et le recul de la solidarité de la population, notamment les nantis, le Croissant-Rouge algérien demeure presque l’unique secours pour les démunis et les sans domicile fixe.

Tous les deux jours, depuis le 20 décembre dernier, le Croissant-Rouge algérien à Oran organise des opérations de distribution de repas chauds et de couvertures aux déshérités et SDF. “Aujourd’hui (jeudi 2 février 2017, ndlr), c’est la 16e sortie que nous allons organiser mais elle sera exclusivement dédiée à la distribution des repas”, précise Djamila, bénévole du CRA, qui s’occupe autant du secrétariat que de la logistique, au 1er étage du siège du comité d’Oran situé au boulevard de l’ALN. “Jusqu’ici, nous avons distribué une moyenne de 120 repas mais nous aimerions faire davantage”, regrette Larbi Benmoussa, avocat dans le privé et président du CRA/Oran depuis 2012. L’homme regrette que l’organisme caritatif ne suscite pas suffisamment l’intérêt des nantis locaux, des promoteurs ou des hommes d’affaires.

“Les dons se font rares et pourtant ils seraient d’un grand secours pour une partie de la population dans le besoin et des Subsahariens qui hantent nos rues”, dit-il en soulignant que l’opération du jour a été “rendue possible par une bénévole qui a voulu honorer la mémoire de sa mère disparue”. La raison de ce désintérêt ? Le président s’abstiendra de s’étendre sur la question, estimant qu’il est plus important de se concentrer sur l’avenir de la solidarité nationale que de s’attarder sur les égarements d’anciens responsables.

Pendant que le responsable évoque les problèmes auxquels le CRA est confronté en raison, tout à la fois, du manque de dons, de l’absence de subventions et du désintérêt de certains responsables locaux, les bénévoles apprêtent la centaine de barquettes contenant du riz, de la salade, de la viande, du pain, de l’eau et un yaourt qui iront remplir les ventres des sans-abri d’Oran. “De manière générale, l’itinéraire est invariable. Nous faisons une première escale à M’dina J’dida pour approvisionner les SDF qui occupent le trottoir de Souk El-Kettane, nous passons par la Sûreté de wilaya, le boulevard de Mascara et par quelques ruelles où nous avons des habitués. Et quand il reste assez de nourriture, nous poussons jusqu’à El-Hassi où des Subsahariens sont installés”, indique Mokhtar, diplômé en électricité industrielle, bénévole depuis deux ans et membre du Samu social.

À l’assaut du 4×4

À 19h, les repas sont rangés dans le 4×4 qui stationne en bas de la bâtisse et, alors que des volontaires prennent des photos qu’ils publieront sur les réseaux sociaux, une ration est déjà offerte à un jeune Subsaharien qui s’est arrêté devant les gilets rouge et blanc. Une quinzaine de bénévoles prend place dans le véhicule tout-terrain et une petite fourgonnette, et le convoi prend la direction de M’dina J’dida où quelques dizaines de SDF ont l’habitude de dormir sous des abris en carton, à proximité d’un barrage de CRS.

Le 4X4 est rapidement pris d’assaut et les bénévoles ont de la peine à instaurer l’ordre. “Ils ont peur que la nourriture ne suffise pas. Pourtant, il y en a pour tout le monde”, rassure Faïza, sans emploi et bénévole depuis le mois de Ramadhan 2016. Et de fait, certains SDF s’en prennent à d’autres et les traitent de tous les noms, leur reprochant leur manque de civisme. “Donnez-moi l’autorisation et je les mets au pas !”, crâne un SDF sexagénaire à l’adresse de Benmoussa, en brandissant sa canne. Ce que le président du CRA refuse naturellement, en souriant : “Ça va aller, nos bénévoles s’en occupent”, répond-il en désignant les jeunes volontaires qui, se tenant par la main, ont déjà formé une chaîne pour canaliser le flux des demandeurs. Deux couples, dont un avec un enfant, se tiennent à l’écart de la cohue et disparaissent dès qu’un bénévole leur apporte leurs rations. Timidement, un jeune homme s’approche pour demander quand “s’hab Misserghin” allaient passer, en référence au Samu social qui transporte les SDF à Diar Rahma, situé dans la commune de Misserghin.

Il dit être originaire de Tiaret et être venu en compagnie de sa femme en juillet dernier. “Nous travaillons dans une boulangerie, à haï El-Badr. Avant, nous y dormions mais plus maintenant. C’est pour cela que nous attendons le transport pour Misserghin”, explique-t-il en ajoutant qu’après ces sept durs mois, il a décidé de rentrer “chez lui” à Tiaret.

“Mal gouvernance”

Un peu plus loin, un homme très éméché explique sa vision de la vie. “En Chine et en Inde, ils arrivent à gérer des milliards d’âmes. En Algérie, nous sommes une quarantaine de millions et nous avons des sans-abri ? C’est pas normal, ça !”, lance-t-il en rappelant toutes “les richesses que le pays recèle du Nord au Sud. L’Algérie est mal gérée”, dit-il la voix pâteuse. Originaire de Tindouf, l’homme rend hommage à la solidarité des bénévoles du CRA : “J’ai vécu près du Sahara occidental, je sais ce que le Croissant-Rouge signifie”, conclut-il. Le climat s’étant réchauffé cette fin de semaine, les couvertures ne sont pas au menu de l’opération de solidarité.

La distribution achevée, Mokhtar s’occupe des modalités de transport des SDF qui le désirent vers Diar Rahma. “Il faut des dispositions spéciales, je suis obligé de rester ici jusqu’à 21h pour pouvoir les transférer”, explique-t-il alors que le jeune Tiareti s’en va dîner un peu plus loin avec sa compagne. Cette nuit, les Subsahariens d’El-Hassi ne recevront pas la visite du Croissant-Rouge algérien. “Nous avons presque épuisé nos rations. Il en reste quelques-unes que nous allons distribuer aux SDF du boulevard Mascara avant de rentrer”, explique encore Mokhtar. Selon les bénévoles, depuis le début de cette campagne en décembre, le CRA est plusieurs fois allé à la rencontre des migrants pour leur apporter un peu de confort, notamment des couvertures durant les nuits glaciales. “Nous ne faisons pas de différence entre les gens dans le besoin et si nous avions les moyens, nous ferions plus, beaucoup plus, assure Larbi Benmoussa. Comme vous le voyez, la volonté existe mais le CRA ne peut pas grand-chose sans l’appui de donateurs et en l’absence de subventions”.

Le président du comité d’Oran précise que les pouvoirs publics ont promis un nouveau siège et appelle à la multiplication des dons qui, garantit-il, iront aux populations déshéritées : “Les gens sont plus généreux durant le Ramadhan mais les sans-abri et déshérités souffrent toute l’année.” Personne ne sait combien de SDF hantent les rues mais les bénévoles affirment qu’il en existe partout et la tendance serait à l’amplification étant donné l’attrait qu’Oran exerce sur les populations des autres wilayas. Il y en a dans les endroits émaillant l’itinéraire traditionnel tracé pour la distribution des repas du CRA mais également dans d’autres quartiers. “Certains ne sont pas visibles et il nous arrive souvent de les chercher pour les trouver”, continue Mokhtar en indiquant en avoir “déniché” même du côté de Canastel, région située à l’extrême est d’Oran.

Le Croissant-Rouge algérien n’est pas le seul à se pencher sur les misères des sans-abri et des déshérités : le bureau d’aide sociale de l’APC, la direction de l’aide sociale, la Protection civile et de nombreuses associations caritatives lancent des actions d’aide et de secours ponctuelles. Mais celles-ci restent insuffisantes. “Généralement, chacun travaille de son côté. Si nous arrivions à harmoniser ces actions et à canaliser toutes ces énergies, il n’est pas interdit de penser que nous pourrions arriver à de meilleurs résultats”, analyse Larbi Benmoussa. En tout état de cause, trois nuits par semaine, Mokhtar, Djamila, Faïza et les autres prouvent que, malgré le manque de moyens, il est possible de mettre du baume aux cœurs meurtris des oubliés de la société. Il suffit juste de le vouloir.