Les yeux de Mansour, nouveau roman de Ryad Girod: Stupeur et désenchantement

Les yeux de Mansour, nouveau roman de Ryad Girod: Stupeur et désenchantement

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Après Ravissement et La fin qui nous attend, Ryad Girod, enseignant de mathématiques au lycée international d’Alger, mais aussi romancier, vient de publier aux Editions Barzakh son troisième livre des plus captivants…

Un livre tourbillonnant qui vous donnera assurément le tournis tant l’histoire racontée vous tient en haleine de bout en bout et l’on n’arrive à connaître l’issue qu’à la fin. Ainsi, le narrateur va se perdre dans son histoire, ses souvenirs et connaissances philosophiques pour contextualiser l’espace-temps contemporain dans lequel il se trouve, lui et son ami Mansour, empêtrés dans une fin tragique et promis à un sort mortel, celui des hérétiques sur la terre d’Islam qu’est l’Arabie saoudite. Mais commençons par le commencement. Nous sommes à Riyadh. Un homme, Mansour est sur le point d’être décapité sur Al-Safa Square.

Son médecin, le docteur Maârafi, lui a diagnostiqué une maladie rare qui touche les neurones. Ainsi est-il atteint d’une certaine dégénérescence des cellules qui va le transformer à la fin en une bête sans cervelle. Sur la place où le peuple ne cesse de crier «guassouh guassouh!» «Coupez lui la tête, coupez-lui la tête!» le narrateur est le témoin impuissant de la future exécution de son ami qui a l’habitude de rouler en camaro rouge pour aller se perdre le plus souvent de son temps en haut des dunes et admirer du haut de sa plénitude ce gâchis lamentable qu’est devenu ce pays, ce pays arabe, lui le descendant de l’Emir Abdelkader, le poète qui est venu sauver les chrétiens avant de se faire exiler à Damas. Le chef d’inculpation de Mansour? ce n’est pas tant sa relation adultère qu’il va entretenir avec la belle et mystérieuse Nadine, mais plutôt ses présumées déclarations hérétiques. Cette déclaration: «Je suis lui». Une phrase jugée inadmissible par le Royaume saoudien. Faisant constamment l’aller et retour entre le passé et le présent, tel ce souvenir de la fin tout aussi dramatique d’El Halaj qui est assimilé à celle de Mansour, le narrateur se prit à penser également aux fameuses larmes du roi Faycal de Syrie et de ses mots devenus célèbres «Où êtes-vous peuples arabes?» lançait-il un jour à la télé.

De Nadine l’Australienne d’origine libanaise qui va entretenir une relation bien étrange, mêlée d’amour et de poésie avec Mansour, aux scènes bien drôles que le narrateur va décrire sur le microcosme européen expatrié, il y a là l’idée incessante de la géopolitique qui prévaut aujourd’hui dans le monde. Ajoutée à cela l’arrivée de François Hollande qui, lors d’une soirée à l’ambassade, en présence de Mansour et le narrateur, se mettra à plaider pour le salut de la Syrie. Et le narrateur de se rappeler dans une crise de conscience, dans un acte d’ association d’idées, l’Emir Abdelkader qui viendra sauver les chrétiens et de se dire qu’au final, ce n’est qu’une revanche sur l’histoire et bien plus que ça, un devoir de mémoire que de défendre et sauver aujourd’hui la Syrie. Aussi, Les yeux de Mansour deviennent par ricochet les yeux du roi Faycal, mais même plus que ça, une métaphore d’une époque en déclin qui a pourtant connu ses belles années des lumières, tel ce rayonnement qui ne cessera d’éblouir nos deux antagonistes tout au long de leur périple que ce soit sur les dunes, en fumant du haschisch, en lisant les plus beaux textes des poètes arabes et philosophes soufis ou dans les bras lascifs de Nadine.

Un vertige d’écriture bien maîtrisé par Ryad Girod qui mêle dans son récit à la fois la grande histoire à celle des grands maîtres soufis comme un énigme à poser çà et là en filigrane pour peu qu’on sache les doctrines des uns et des autres de ces célèbres philosophes qui ont marqué les pays d’islam par leurs génie et clairvoyance et surtout leur ouverture d’esprit et de tolérance. Chose de plus en plus rare de nos jours dans ces contrées du monde où l’on préfère scander «guassouh, guassouh!» pour mieux se rapprocher d’Allah, considéré pourtant comme miséricordieux… Raconté presque comme une fable à mille résonances, le livre de Ryad Girod a dans son ventre un flot de mélancolie et de désenchantement que nul ne peut apaiser tant l’amertume est criarde de vérité et sa peinture ruisselante d’accablement sur le monde contemporain qui nous assiège par son trop-plein de morale islamiste. Ryad Girod pour autant nous livre quelques pistes sans trop se permettre de juger, mais sa plume est si belle et tranchante comme le sabre que l’on peut passer à côté de ses effluves de rage et de colère dictées sous la houle d’un souffle esthétique flamboyant, d’un imaginaire toujours aussi bien fouillé que sa documentation, soufie, extraordinaire. Un travail bien remarquable et remarqué, dûment à souligner…