Les sept familles du Facebook DZ

Les sept familles du Facebook DZ

Il est des dichotomies qui sont usées par le temps, presque ringardisées. Celle qui opposait le monde réel à son avatar, le monde virtuel, semble dépassée aussi bien par les faits que par la théorie. L’argument comme quoi la toile DZ ne représente pas l’Algérie est de moins en moins pertinent. Avec son milliard d’utilisateurs actifs chaque jour, Facebook est désormais le deuxième contient le plus peuplé du monde. L’Algérien prend, chaque jour, ses « clics », ses claques, et part à sa conquête. Sur la partie DZ de ce continent, cohabitent, tant bien que mal sept familles. Dans cet univers impitoyable, règne la loi du plus fort et sous un soleil implacable, ces familles ne redoutent que la mort. Voici leurs portraits.

1- La famille Kardashian (le culte d’instagram)

Phénomène insolite et curieux. Parfaite illustration du culte de l’apparence et de la tare de la superficialité qui sévissent dans les sociétés contemporaines, depuis que l’on a inventé le vidéo-clip puis Instagram. Ils habitent ce terrain vague et névadèsque entre la butte de la médiocrité et le rocher de l’éphémère ; inspirants pour les caricaturistes et les garants du second degré, ils désespèrent tous les autres.

Peu importe le niveau d’instruction des membres de cette famille, ils ont tous le même rapport égocentrique à l’image. Leur téléphone est une extension quasi-naturelle de leurs doigts. La caméra frontale sur les téléphones a été inventée expressément pour eux. Ils ne cessent de prendre des selfies, ces autoportraits éphémères d’une bêtise permanente, syndrome d’une époque aussi nombriliste qu’exhibitionniste, remontants psychologiques pour les uns, la garantie d’un égo-contrôle de l’image (de soi) pour d’autres.

A la fin de la journée, ils sélectionnent la perle rare qui va garnir leur mur virtuel, dans un souci déconcertant du contrôle de l’image. 80% de leurs publications sont des photos ; 80% de leurs photos sont des selfies ; et 80% des membres de cette famille sont atteints de torticolis.

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Leur saison préférée : l’été. Ce serait idiot de mettre des lunettes de soleil en hiver. Quoi que…

Petite astuce pour les identifier : Ils mettent leurs gueules en photo de profil mais également en photo de couverture.

2- La famille Guevara (le révolutionnaire)

Révoltés, indignés, rebelles, ils sont de tous les combats et sur tous les Francs. Mais contrairement au Che, dont ils tirent leur nom de famille, le seul risque qu’ils ont pris durant leur vie était cette visite guidée à la Casbah pour rencontrer ses Indigènes.

Les Guevara sont nés sur le Facebook DZ sous le slogan « Sauvez Mohamed Gharbi ». Ils ont été bercés aux chants de Gnawa Diffusion. Ils ont sauvé la forêt Paradou pour en faire un lieu branché et select’, où l’on prend des Macchhiato à 800 Da. Comme première expérience professionnelle, ils ont fait des stages d’attachés de presse, en défendant Kamel Daoud face aux méchants barbus.

Puis, un matin, le lendemain d’une cuite dans un appartement aux hauts plafonds et aux lumières tamisées, et tel un vieux communiste déçu, au crépuscule de sa vie, ils renièrent leur famille. Les uns cherchèrent alors chez les Rabhi (voir plus bas) une famille d’accueil et un git original. Quant aux autres, ils se turent à jamais dans la cave des Wiesler (voir plus bas).

Leur saison préférée : Les quatre saisons de Vivaldi ou même celle de Moh le pizzaïolo. Quand on est engagé, on ne peut aimer une saison et en exclure une autre.

Petite astuce pour les identifier : une photo de profil sur deux est un drapeau en guise de solidarité avec un pays touché par le terrorisme avec ce fameux texte « Pray for »…Ils ne sont pas tous croyants mais ils prient quand même.

3- La famille Nabe (le journal intime)

Au nom de l’auteur Jean-Edouard Nabe, dont ils ont emprunté la forme, mais pas le style et encore moins le talent. Qui n’a jamais été tenté de lire le journal intime de quelqu’un d’autre ? Qui n’a pas rêvé de s’introduire dans la chambre d’une femme, et y chercher son journal intime ? Aussi grandes soient votre réserve et bienséance, vous ne pouvez résister à la petite souris curieuse, en chacun de nous. Avec les Nabe, plus besoin de céder aux tentations voyeuristes ni de s’aventurer dans les tiroirs, obscures et parfumés, d’une femme. Leur journal intime est publié sur leurs murs Facebook. Cet espace public divulgue aussi bien leurs angoisses qu’il ne révèle leurs confidences.

Autrefois, les gens cachaient mal leurs journaux intimes en espérant que quelqu’un les trouvera. Les Nabe les publient en mode public pour être sûrs qu’ils sont accessibles à celui qui voudrait lire (ou pas). Généralement d’une platitude extrême et aux figures mille fois visitées, le style de ces journaux intimes 2.0 n’a, parfois, pour but que lui-même.

Saison préférée : l’été indien. Parce qu’ils se souviennent, ils se souviennent très bien de se ce que s’est dit ce matin-là, y a un an, y a un siècle, il y a une éternité.

Petite astuce pour les identifier : Cherchez bien, chaque semaine, vous avez affaire à une citation de Coelho.

4- La famille Rabhi (l’original)

Cousins germains des Guevara, les membres de la famille Rabhi* sont tout aussi engagés et révoltés. A la différence que, leur engagement est tributaire de la nature de la cause défendue : Leurs causes sont sélectives. Moins elles sont connues et sans espoir, plus leur engrangement est affiché et ardent. Les bébés-phoques du Sri Lanka, c’est eux ; Les gazelles du pôle nord également ; L’affaire de la petite brésilienne (handicapée, orpheline, et violée -Plus c’est gros, mieux c’est) qui a créé une bibliothèque dans son village natale, où les hommes sont misogynes (les Rabhi ont des tendances féministes), c’est eux aussi.

Ils ont été fans de Tinariwen, avant que tout le monde les découvre en 2010. Depuis, ils détestent ce groupe « qui a vendu son âme au diable des labels internationaux ». Ils aimaient Bob Dylan, sa poésie, ses textes et son harmonica. Mais ça, c’était avant. Avant que le vieux Zimmereman ne soit devenu, à leurs yeux, trop mainstream depuis son Nobel.

Leur auteur préféré : Moriba N’koudou. Vous ne le connaissez pas ? Tant mieux, c’est justement pour cela qu’ils l’aiment ; Leur penseur préféré : Mohamed Arkoun, plus exactement les vingt premières minutes d’une conférence que l’on peut trouver sur Youtube, où il donne la leçon à ces bougnoules aux turbans.

Saison préférée : L’automne. Personne n’aime cette saison. Voilà pourquoi !

Petite astuce pour les identifier : Les Rabhi se disent profondément africains. Ils aiment l’Afrique et les Africains (dans un grossier amalgame entre africains, migrants et Noirs), surtout quand ils sont petits et mignons, sur leurs photos de profil faussement spontanées.

(*) Au nom de l’essayiste Pierre Rabhi, natif de Kenadsa, fondateur du mouvement Colibris et l’un des gourous des temps modernes.

5 – La famille Wiesler (L’espion)

Au nom de l’agent secret Wiesler, du film « La vie des autres » (Oscar du meilleur film étranger en 2007), chargé de surveiller, jour et nuit, un couple d’intellectuels dans la RDA des années quatre-vingt. Pour les membres de cette famille, Facebook n’est pas un moyen d’expression ou un canal de communication mais une mine d’information. Les Wiesler sont stratèges.

Faussement déconnectés du monde virtuel, ils scrollent (voir Wikipédia pour les vieux. Non ! Le mot n’existe pas encore dans le Larousse), les pages bleues, du matin au soir, guettant le moindre indice, afin de découper les informations personnelles et les mettre en perspective. Les Wiesler sont organisés.

Rien n’échappe à ces Closer sans couverture, ces bouteillers des temps modernes. Leur mot d’ordre est de publier le plus rarement possible pour qu’ils ne soient pas repérés, mais il faut tout de même publier pour ne pas éveiller les soupçons. Les Wiesler sont prudents.

Ils ne likeront pas, ils ne commenteront jamais, mais si vous les rencontriez dans la vie réelle, ils seraient capables de faire référence à un vieux statut que vous avez publié, deux ans auparavant. Les Wiesler ont une très bonne mémoire.

Ils sont capables de vous donner avec une précision déconcertante la cadence de vos connexions, l’heure à laquelle vous vous réveillez et quand est-ce que vous dormez. Les Wiesler sont dangereux ! Si vous les croisez, prévenez la police !

Saison préférée : L’hiver. Les stores sont baissés et les fenêtres fermées. On peut surveiller sans être vu. Film préféré : Fenêtre sur cour.

Petite astuce pour les identifier : Par précaution, leur dernière publication est une photo de M’bolhi, rendant hommage à sa performance lors du mondial 2014. Les plus discrets célèbrent encore le but de Belloumi.

6- La famille Ajaïmi (le joueur)

Si Mohamed Ajaïmi, dans le feuilleton « Le joueur » du regretté Djamel Fezzaz, perdit sa célèbre mallette, les Facebookers algériens du même nom, perdent, jour après jour, leurs amis. A force d’envoyer, chaque demi-heure, des invitations Farmville et Criminal Case, plus personne ne veut être leur ami, pas même sur Facebook. Ce sont les mêmes qui ont joué les premiers à Pokemon Go, avant que ce ne soit has been. Dans la vie, comme dans Candy Crush, ils associent des combinaisons pour mieux les écraser. Selon les chiffres de Facebook, un utilisateur sur quatre est un joueur.

7- La famille Charlomanté (Le compulsif)

Ils sont aussi prolifiques que la chanteuse du même nom, même si la qualité y est rarement. Les deux tiers de votre fil d’actualité sont remplis des publications de cette famille. Si l’on parle de plus en plus de la nécessité de protéger la vie privée des gens sur les réseaux sociaux, les posters compulsifs s’en moquent royalement. Ils se donnent tellement à voir, qu’il ne sont plus un challenge intéressant pour les Wiesler.

Leur Facebook est un journal détaillé du déroulement de leurs journées. Tout y est : la chanson du matin ; les commérages sur les collègues du bureau ; le menu de midi ;les photos de la première petite fille mignonne croisée dans la rue, sinon celles des vacances de l’été dernier ; des informations partagées sur les avancées de la recherche dans le domaine du cancer ; le café de 17h ; Une citation neutre en apparence mais dont tout le monde peut deviner le destinataire (Les posters compulsifs sont prévisibles) ; le menu du soir…Ils passent tellement de temps sur Facebook qu’il serait légitime de se demander quand est-ce qu’ils vivent.

Saison préférée : Toutes sauf Printemps. C’est tout de même à cause de lui qu’on trouve plus où se garer en fin de journée, avant de monter les Dunes

Ps : Toute ressemblance avec des personnes existantes est clairement voulue.