La fuite des cerveaux, quelles solutions ?

La fuite des cerveaux, quelles solutions ?

Le thème de la fuite des cerveaux fait beaucoup parler de lui ces derniers temps. Les chiffres effrayants du nombre de départs, récemment dévoilés, ne font que témoigner de l’ampleur de ce phénomène: l’Algérie est en train de perdre ses compétences.

Pour comprendre au mieux ce fléau et revenir sur les raisons qui incitent les compétences algériennes à quitter le pays, le HuffPost s’est adressé à Kais Mabrouk, professeur et Directeur dans des universités tunisiennes et françaises.

Pourquoi la fuite des cerveaux s’est nettement accéléré ces derniers temps ? 

“La fuite des cerveaux, comme certains préfèrent la nommer la mobilité des talents, n’est pas un phénomène nouveau”, indique Kais Mabrouk. En effet, ce fléau existait depuis bien longtemps en Algérie, mais sous l’effet d’une conjoncture de facteurs, il s’est intensifié ces dernières années. Cette vague de départ est, selon lui, le résultat d’un éclatement de facteurs à la fois endogènes et exogènes.
D’après Mabrouk, les flux de recrutement auprès des pays occidentaux n’étaient pas aussi massifs comparé aux années précédentes. En effet, face à un déclin démographique, ces derniers lorgnent les jeunes compétences des pays émergents en leur offrant de meilleures perspectives.  “Aujourd’hui, avec la croissance démographique mondiale, ces pays ont besoin de mains d’œuvres qualifiées, de jeunes compétences…”, a-t-il expliqué en précisant que près de 3/4 de ceux qui immigrent sont des médecins, des professeurs et des ingénieurs.
Qualifiant la situation de “rapt”, il considère que la facilitation de la mobilité et la simplification des procédures du visa et du travail à l’étranger ont favorisé le départ massif des Tunisiens. “Ils ne font que déposséder un pays de ses ressources”, a-t-il estimé. Revenant sur les facteurs endogènes, Mabrouk évoque en premier lieu le fait que les bacheliers optent de plus en plus pour des études à l’étranger.
Un choix, qui selon lui, se pose sur le classement en bas d’échelle des universités publiques. “C’est ce sentiment d’inquiétude, principalement des parents, qui laissent ces derniers se sacrifier pour assurer un avenir meilleur” a-t-il assuré.   “Il y a un malaise” a-t-il souligné en évoquant les problèmes rencontrés par les universitaires notamment au niveau de l’évolution de carrière, le manque criant de budget de recherches, la démotivation et le manque de reconnaissance de leurs capacités. À côté de ces raisons académiques, il y a ceux qui se sentent lésés par la dégradation du pouvoir d’achat et le manque d’opportunité sur le marché de l’emploi en Algérie. Rares sont les jeunes qui échappent à la tentation d’accepter un emploi motivant, bien rémunéré et qui répond à leurs ambitions, a-t-il noté. À vrai dire, la liste des facteurs derrière la mobilité des talents est assez longue pour être présentée de façon exhaustive mais c’est bien toute la palette d’idées qui a été abordée, a-t-il fait savoir en ajoutant que “tout l’environnement s’attire les foudres”.
Quelles sont les solutions? 
Pour freiner cet exode, Mabrouk pense qu’il serait plus judicieux de mettre l’accent sur l’Enseignement supérieur et d’instaurer un environnement propice au développement des compétences individuelles et collectives. Il a souligné la nécessité de pousser les jeunes compétences à créer et à innover en leur offrant notamment une facilité de mobilité. D’autre part, il a insisté sur l’importance de redonner de l’éclat aux universités algériennes et de retrouver la confiance dans le système éducatif national et ce, en renforçant la disponibilité des professeurs universitaires et en apportant un gage de qualité.
Il a estimé que l’accréditation des facultés et la reconnaissance des diplômes universitaires algériens à l’international constituent un atout majeur pour freiner cette hémorragie. Plus encore, avec une labellisation internationale, les universités algériennes pourront tirer profit et devenir une référence de formation internationale. “Un retour d’investissement s’en suivra” a-t-il indiqué. D’après lui, l’Algérie pourra fonctionner comme étant un centre de formation à grande échelle.
De ce fait, elle sera capable d’attirer aussi bien des étudiants étrangers que des grands investisseurs en quête de qualité.
“Ce n’est autre que la stratégie gagnant-gagnant adoptée par le Maroc” a-t-il mentionné. Il a expliqué que le royaume a su se faire une place en séduisant de grands investisseurs étrangers, en formant leurs futurs managers qui développeront par la suite leurs marques dans le pays. De même, Mabrouk a appelé à la nécessité de booster l’investissement, revaloriser les salaires, promouvoir les formations et créer des perspectives d’ambition pour garder les jeunes compétences et installer un climat de confiance.
Pour les attirer, il a proposé de mettre en place un programme dédié aux élites algériennes à l’étranger à l’image du programme tunisien Amal, conçu pour les jeunes au chômage. Plusieurs, forts de leur expérience en Occident,  sont prêts à retourner avec l’énergie de construire quelque chose de nouveau, avec l’espoir de faire bouger les choses. Enfin, pour lui, il s’avère important de chapeauter les entreprises publiques par la crème de l’élite algérienne. Une manière qui pourrait libérer le pays d’un cercle vicieux d’inefficacité.
En effet, instaurer la confiance, booster la croissance économique du pays, favoriser l’investissement et valoriser le capital humain ne font que cultiver l’optimisme et renforcer l’attachement envers le pays.   Cependant, il faut, relativiser ce phénomène de “fuite des cerveaux”. L’attachement à la culture d’origine, l’envie de vivre parmi les siens, l’appel des racines, la volonté de participer au développement de son pays font que beaucoup finissent par revenir chez eux.
“La vie est courte, et un jour de vécu loin de son pays et de ses proches est un jour de perdu quelque soit la rémunération ou l’évolution de carrière” confie Kais Mabrouk qui a longtemps vécu en France avant de décider de s’installer définitivement en Tunisie.