Kaouther Adimi / auteure du roman «Nos richesses» : «Je suis allée sur la trace d’Edmond Charlot»

Kaouther Adimi / auteure du roman «Nos richesses» : «Je suis allée sur la trace d’Edmond Charlot»

Kaouther Adimi signe aux éditions Barzakh son troisième roman, «Nos richesses», «où alternent journal (fictif) d’Edmond Charlot et le quotidien d’une rue algéroise en 2017». Dans cet entretien, elle revient sur la naissance de ce roman, et les thèmes qui y sont abordés.

Reporters : Comment est né votre intérêt pour Edmond Charlot et la librairie «Les Vraies richesses» ?

Kaouther Adimi : Le livre est né d’une phrase : « un homme qui lit en vaut deux » inscrite sur la porte vitrée du 2 bis, rue Hamani. Il est né aussi d’une envie de rendre hommage à tous ceux qui ont choisi l’art comme boussole, à l’instar de Charlot ou du personnage fictif Abdallah. En découvrant l’ancienne librairie des Vraies Richesses, il y a presque trois ans, je me suis ainsi intéressée à la vie romanesque (et parfois rocambolesque) d’Edmond Charlot.

Edmond Charlot prend la parole dans le livre à travers un journal intime que vous avez imaginé. Comment avez-vous procédé pour la documentation et pour lui donner une voix dans le livre ?

Je suis allée sur la trace d’Edmond Charlot. Pour cela, j’ai écumé les fonds d’archives, rencontré ses amis encore vivants (comme le poète Frédéric Jacques Temple), j’ai aussi bénéficié de l’aide de Jean-Charles Domens, imprimeur et éditeur à Pézenas et qui a travaillé avec Charlot. Ensuite, j’ai fouillé les archives des journaux de l’époque, j’ai lu les carnets, mémoires, journaux, biographies et correspondances des gens qui entouraient Charlot (éditeurs, journalistes, écrivains…). Bien sûr, j’ai écouté toutes les émissions de radio et regardé tous les documentaires le concernant. Quand il a fallu combler les trous, j’ai simplement brodé, imaginé, relié les bouts.

Vous utilisez le «nous» pour les autres parties du livre. A quoi correspond ce choix ?

Il correspond aux habitants du quartier par moment, aux Algériens à d’autres moments, mais aussi aux miens au sens large et, enfin, pour la première partie d’octobre 61, aux policiers français. Il était important ce « nous ». Il me permettait de ne pas prendre de recul sur certaines parties de l’histoire, d’assumer la part subjective des parties dites « historiques ».

Le roman est construit sur deux époques. Celle d’Edmond Charlot à travers son journal et celle de Ryad, étudiant parisien, qui débarque à Alger pour vider la librairie. Deux époques différentes mais aussi deux histoires de jeunes dans deux époques différentes. Peut-on y voir un parallèle entre les deux générations ?

Je n’aime pas beaucoup l’idée d’un parallèle linéaire entre un Charlot et un Ryad. Je le vois plutôt ainsi : Charlot a ouvert, en novembre 1936, un minuscule endroit qui fut le départ de l’œuvre de sa vie. J’imagine dans mon roman qu’il passe le lieu à Abdallah, merveilleux personnage, qui, à son tour, tente de le passer à Ryad, mais ce dernier n’en veut pas. Il n’aime pas lire -et là, on ne le jugera pas, car on se souviendra des dix droits du lecteur de Pennac dont le premier était : le droit de ne pas lire. Ryad est surtout amoureux et donc hermétique à tout ce qui ne concerne pas Claire, la jeune femme qui habite ses pensées. Il arrive à Alger un peu par hasard et ne souhaite qu’une chose : terminer au plus vite sa tâche et repartir. Evidemment, Abdallah ne l’entend pas ainsi et va se lancer dans une espèce de discussion socratique avec le jeune homme.

Que représentait la Méditerranée (où ses cendres ont été répandues) pour Charlot ?

Charlot avait un attachement fort pour les pays de la Méditerranée. Il vivra la plus grande partie de sa vie sur les rives de cette dernière (Algérie, Turquie, Maroc…). La première collection des livres qu’il publie en 1936 s’appelle d’ailleurs « Méditerranéennes » (au féminin et au pluriel).

Charlot était éditeur, libraire, bibliothécaire, galeriste et à l’origine de revues. Que nous dit-il sur son époque et – faisons encore un peu de fiction – Qu’aurait-il dit sur la nôtre ?

Il nous dit beaucoup de choses sur son époque, ne serait-ce qu’à travers les livres qu’il publie. Si je devais n’en retenir que trois. « Révoltes dans les Asturies » est une pièce de théâtre interdite par la municipalité, la publication du «Silence de la mer», de Vercors, témoigne de l’engagement de Charlot pendant la Seconde guerre mondiale et, enfin, lorsqu’il publie le rapport sur les massacres de Sétif, il est obligé de masquer le nom des imprimeurs pour leur épargner tout problème. Que dirait-il sur notre époque ? Il reprendrait peut-être les mots de son professeur Jean Grenier : « Avec du cœur et quelques amis, on peut faire de grandes choses. »

«Nos Richesses», de Kaouther Adimi. Roman, 216 pages. Editions Barzakh, Alger, août 2017. Prix : 600 DA.