Journée d’étude «(Re)lire l’œuvre de Rachid Mimouni», aujourd’hui à Guelma / Amel Maafa «Une volonté de faire découvrir nos écrivains»

Journée d’étude «(Re)lire l’œuvre de Rachid Mimouni», aujourd’hui à Guelma / Amel Maafa «Une volonté de faire découvrir nos écrivains»

Par Sara Kharfi

Dans cet entretien, la coordinatrice de la Journée d’étude «(Re)lire l’œuvre de Rachid Mimouni» et maître de conférences au département des lettres et de langue française de l’université 8-Mai-1945 de Guelma, revient sur cet événement prévu aujourd’hui à partir de 9H. Elle évoque également l’œuvre de l’auteur de «l’Honneur de la tribu», ses dimensions «dénonciatrice et littéraire» et son actualité.

 Reporters : Vous êtes la coordinatrice de la Journée d’étude « (Re)lire l’œuvre de Rachid Mimouni ». Comment cet événement a été pensé et mis en place ?

Amel Maafa : La journée d’études autour de l’œuvre de Rachid Mimouni a été le résultat d’un constat que je trouve assez intéressant à soulever. Nos étudiants, pourtant en master littérature, ne lisent plus ou très peu et ne connaîssent pas les auteurs algériens, à l’exception de quelques noms plus ou moins médiatisés. Une volonté de faire découvrir nos écrivains est donc née en espérant réunir le plus possible d’étudiants,  ou, pourquoi pas, tout passionné de littérature, autour d’œuvres aussi variées que riches. Ainsi, l’idée de départ était d’organiser une série de journées d’études étalées sur plusieurs années en optant tout d’abord pour des noms plus ou moins connus. Cette année, notre choix était porté sur l’œuvre de Rachid Mimouni. Pour la simple raison que c’est l’auteur que je connais le mieux puisque j’ai fait une thèse sur toute son œuvre romanesque.

Lire les romans de Mimouni était pour moi un plaisir que je voulais absolument partager. Je suis passée alors à l’action en rédigeant un appel à communications. Quoi de plus fascinant que d’inviter des chercheurs à une rencontre pour une (re)lecture commune d’une œuvre foisonnante et riche. Il fallait juste choisir le jour de la rencontre et ce fut un choix de cœur.

En effet, la date de la mort de l’auteur était très symbolique. Mimouni, qui a toujours décrit l’Algérie dans ses textes, est mort loin de son pays. Mais, pour nous, lecteurs, il vit à travers son écriture et il revit à travers chaque lecture.

Qu’en est-il du  programme ?

A partir des propositions reçues, nous avons pu répartir les communications en deux parties bien distinctes. La première session est un travail essentiellement porté sur le texte de Mimouni. Les participants usent d’approches critiques diverses pour faire une lecture avec un regard différent. La première communication portera sur la notion du héros mimounien, la seconde sur le rapport entre histoire et Histoire, la troisième posera le concept de l’identité au centre de tous les questionnements dans un roman marquant, celui du « Fleuve détourné ». La dernière communication proposera comme référence théorique celle du prophète Weberien en faisant un parallèle assez intéressant avec le texte de Mimouni.

La deuxième session est beaucoup plus ouverte où le comparatisme est l’outil par excellence des chercheurs qui ont opté pour une lecture assez originale en mettant en évidence des liens éventuels entre Mimouni et d’autres auteurs tels que Kamel Daoud ou Tahar Djaout. Une autre intervenante a choisi de travailler sur l’adaptation cinématographique de «l’Honneur de la tribu» réalisée par Mahmoud Zemmouri. La dernière intervention est celle de deux doctorantes qui se sont penchées sur un sujet d’actualité, «qu’en est-il de la traduction des romans de Mimouni ?» Nous aurons aussi le plaisir d’écouter le Pr. Ahmed Cheniki nous raconter les détails de son entretien (presque) imaginaire avec Rachid Mimouni. J’aimerai souligner l’importance de cette conférence, puisque Ahmed Cheniki était un des rares journalistes à réaliser un entretien avec l’auteur.

Nous terminerons notre journée d’études avec la présentation d’une association qui œuvre pour l’épanouissement de la recherche en littérature maghrébine, la Coordination internationale sur la littérature maghrébine (Ciclim). Lors de cette conférence, nous présenterons la revue « Expressions Maghrébines » ainsi que Limag, la première banque de données dans le domaine, une référence incontournable de tout chercheur/étudiant qui s’intéresse à la littérature maghrébine. Un travail énorme accompli par le Pr. Charles Bonn.

Vous présenterez une communication intitulée «Texte de fiction ou récit historique ? La circularité du temps dans l’œuvre romanesque de Rachid Mimouni »…

Tout à fait ! Il faut dire que je n’ai pas encore finalisé ma communication mais je peux vous dire les grandes lignes. Ma réflexion est basée sur une citation de Roland Barthes (dans «le Degré zéro de l’écriture» : «[…] l’écriture, libre à ses débuts, est finalement le lien qui enchaîne l’écrivain à une histoire, elle-même enchaînée.» La référence au monde extérieur et à la fiction est assez évidente dans le texte de Mimouni. Elle apparaît comme nécessaire dans la construction même de l’univers romanesque. Le texte fournit entre ses lignes des marques précises de lieu, de temps, parfois accompagnés de noms propres, des dates et des faits très exacts permettant ainsi la vérification.

L’objectif premier de l’auteur n’est pas de copier les réalités politiques, économiques ou sociales, mais de les dénoncer et de les critiquer. L’histoire se lie par conséquent à l’imaginaire romanesque. Où est donc l’histoire dans la fiction de Mimouni ? Comment peut-elle se développer dans un récit reposant sur une fiction, produit de l’imaginaire d’un auteur qui a vécu une période difficile de l’Algérie nouvelle ? Dans ma communication, je tenterai de répondre à ces questions et d’éclaircir ainsi le rapport souvent ambigu entre la fiction et l’histoire chez Rachid Mimouni.

L’intitulé de la Journée d’étude suggère-t-il que l’œuvre de cet écrivain n’a pas été ou pas suffisamment bien lue ?

Oui, comme nombre d’autres écrivains algériens (Nabil Farès, Mourad Bourboune…), Mimouni n’est pas suffisamment lu. Quand j’ai commencé à rédiger ma thèse de doctorat, il n’y avait que très peu de documentation sur l’œuvre de Mimouni qui reste inaccessible à l’étudiant/lecteur algérien puisque publiée à l’étranger. Je pense aussi que toute œuvre a besoin de lecture et de relecture puisque les approches évoluent et varient tout comme les regards portés au texte diffèrent d’une personne à une autre. D’ailleurs, je salue le travail énorme de beaucoup de jeunes chercheurs qui s’intéressent de plus en plus au texte maghrébin, en général, et algérien, en particulier.

Dans le même document, il est mentionné que son œuvre a été «longtemps mise sous silence». Pourquoi, selon vous ?

L’œuvre de Mimouni dérangeait, titillait le politique, dénonçait l’état d’une Algérie post-indépendante. A travers son écriture, il mettait à nu   toutes les tares politico-sociales présentes à une époque où il valait mieux ne pas critiquer le système (années 70-80). Des romans étaient censurés, ce qui a obligé l’auteur à publier en France. Et ceci rendait son roman inaccessible.

Vous évoquez aussi les dimensions «dénonciatrice et littéraire» de l’écrivain, pourriez-vous nous dire de quelle manière  se conjuguent-elles ?

Dans son œuvre, Mimouni emploie un discours qui prend forme dans le présent et s’ouvre sur le passé dans une atmosphère de remise en cause. Des thèmes socio-politiques dominent, misère, souffrance, identité, errance, violence, conflit entre classes sociales, tradition/modernité, femme, religion… Une sorte de métamorphose du réel et de son éclatement s’établit, engendrant une multiplicité des espaces et des temps et provoquant la présence d’un monde caractérisé par un discours qui portent surtout des termes relatifs à la violence, à l’absurde et à la désillusion.

Tout y est pour appuyer un sentiment de prise de conscience d’un état de dégradation des valeurs dans une société censée avoir un avenir radieux après plus d’un siècle de colonisation. Malheureusement, ce n’était pas le cas. Un sentiment de désenchantement s’installe tout au long des romans de Mimouni.

Ce même sentiment que l’on trouve encore aujourd’hui dans des romans plus contemporains.