entretien : Lareus Gangoueus, bloggeur critique littéraire : «Le livre numérique est la solution transfrontalière»

entretien : Lareus Gangoueus, bloggeur critique littéraire : «Le livre numérique est la solution transfrontalière»

Lareus Gangoueus, bloggeur littéraire depuis une dizaine d’années, animateur et créateur depuis plus de cinq ans de l’émission littéraire « Les lectures de Gangoueus sur le webmédia – Sud Plateau TV », a animé hier, à l’espace esprit Panaf du 22e Sila, une conférence sur « la littérature africaine en blog ».

De son vrai nom Réassi Ouabonzi, celui dont le métier est consultant en informatique, aborde dans cet entretien sa passion de la lecture, la nécessité des blogs littéraires et des livres numériques ainsi que ses impressions sur le Sila.

Reporters : Quelle est la réalité des blogs littéraires en Afrique ?

Lareus Gangoueus : La production des blogs existe sur le continent mais également par la diaspora, dont je fais partie puisque je suis installé en France. Lors du lancement du phénomène de blogging dans le domaine littéraire, il y avait deux types de bloggeurs. Des bloggeurs d’origine africaine, qui se prononçaient sur la littérature qui n’était pas forcément de la littérature africaine. Et d’autres qui se sont spécialisés dans la littérature du continent. Après, il y a les lecteurs africains, qui produisent sur place au niveau du continent et qui prennent position et parlent de leur lecture. Pour moi, c’est important parce qu’on est capables de s’emparer de ces outils et de parler de nos lectures.

Qu’est-ce qui vous a motivé à créer votre blog ?

Le blog est un moyen par lequel je peux partager mes lectures. Auparavant, un lecteur n’avait pas d’espace de discussion si ce n’est que lorsqu’il rencontrait l’écrivain. Il fallait aussi passer par un journal, par les médias main Stream, qui étaient plutôt gérés par les critiques littéraires. Avec l’arrivée des forums et du web, 1,0 % des informaticiens ont mis en place des plateformes pour l’échange. Sur ces forums, les lecteurs ont commencé à donner leur avis. La technique s’améliorant, il y a eu, à partir de 2005, l’émergence des blogs. En fait, Internet, et en particulier, le format blog et les réseaux sociaux, ont permis cette prise de parole et l’ont diffusé dans un réseau qui a la puissance de toucher un large public. Pour ma part, quand j’ai créé, en 2007, mon blog, mon choix livresque était très hétéroclite, avec aussi de la littérature africaine. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que les auteurs africains que je lisais, avaient très peu de visibilité. Cela m’a amené à me spécialiser en littérature africaine. Mais, c’est important de dire que les lecteurs africains lisent différentes littératures, qu’elles soient françaises américaines ou japonaises. Au bout de quatre ans, j’ai été associé à des projets de rencontres littéraires et j’ai rencontré un réalisateur qui m’a proposé de monter une émission littéraire pour une web tv Sud Plateau. En 2012, on a lancé la première émission en format de 52 mn où on met quatre lecteurs, dont moi-même, autour d’un texte avec l’écrivain. On sort du système talk show pour mettre en valeur le texte de l’écrivain et les avis différents sur ce texte. Nous avons reçu des auteurs algériens, tels Salim Bachi, Yahia Belaskri et Ali Chibani. Depuis, on nous a ajouté un concept un peu plus court de 15 min, ou l’on aborde l’univers de l’écrivain et de la création littéraire. Il est utile, aujourd’hui, de parler de littérature car la littérature est utile.

Pourquoi considérez-vous que la littérature est utile ?

Parce que c’est, d’abord, un espace de dialogue et d’interaction entre l’écrivain et le lecteur. Parce qu’en fait, l’écrivain ne fait que répandre son âme sur du papier. Certes, après il y a tous les artifices. Mais on peut comprendre l’autre à travers ses écrits, comprendre ses obsessions, ses angoisses et ses limites. La littérature est vraiment pour comprendre l’autre. C’est pour cela que, parfois, je suis extrêmement dur en parlant de la nouvelle littérature française, parce que mon grand regret, c’est une littérature extrêmement nombriliste et qui n’aborde plus les problèmes de société. Et de fait, on n’a plus accès sur la réflexion de ce qu’est l’autre. La littérature permet d’observer les efforts d’aller vers l’autre.

Est-ce que ces différents blogs permettent une meilleure visibilité des auteurs africains ?

Pour moi, qui observe la littérature et, en particulier, le monde du livre, il y a un fait c’est que le livre ne circule pas en Afrique. Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi les gens s’accrochent au livre papier. Je considère qu’avoir un livre papier est un luxe. En France, c’est vrai que l’on peut trouver des librairies un peu partout, mais en Afrique, la chaîne du livre n’a jamais fonctionné. En Algérie, il y a quelques librairies, mais on remarque bien que les gens viennent au Salon du livre pour faire leurs emplettes et le stock de livres pour l’année. Cela montre donc bien qu’il y a des dysfonctionnements même dans un environnement où le livre est très présent. Le livre numérique est une solution transfrontalière. Les éditeurs n’ont pas à se battre avec des problèmes de logistique. La seule difficulté et d’expliquer aux gens qu’ils peuvent lire un livre sur un portable ou une liseuse. Certes, la liseuse a un coût un peu plus élevé, mais le portable reste accessible sur tout le continent africain.

Justement, qu’est-ce qui bloque à ce sujet ?

En vérité, ceux qui bloquent là-dessus, ce sont les éditeurs. Les éditeurs ont peur du piratage, comme si le livre papier n’était pas piraté en masse. Je peux dire sans ménagement que c’est une peur absurde. Car la solution numérique permet la circulation du livre d ‘Alger à Dakar, à Bamako et à Brazzaville. Mais une solution aussi pour que le livre soit lu à Paris, à Washington, et un peu partout dans le monde. J’ai mis deux heures pour faire Paris-Alger, mais les plus grand livres des maisons d’édition algériennes, telles ceux de Casbah, Barzakh et Apic, ne sont pas disponibles à deux heures d’ici.

Est-ce qu’il existe déjà des solutions pour le livre numérique africain ?

Il faut savoir qu’à Dakar, il existe une plateforme qui s’appelle « les nouvelles éditions africaines » qui font un travail de professionnels et sont totalement indépendantes. Elles ne sont affiliées à aucune structure éditoriale occidentale. Elles ont déjà un catalogue qui est disponible sur leur libraire numérique. Sauf que dans le volet fiction, elles sont confrontées au blocage des éditeurs qui sont très réticents. L’angoisse de la chaîne du livre européenne leur a été transmise. Je pense qu’il faut faire le ratio entre quelques livres piratés et un plus grand nombre de livres qui vont être lus. Il faut savoir que la nouvelle édition numérique africaine travaille justement sur la sécurisation du patrimoine livresque. Aujourd’hui, il est intéressant de mettre en collaboration étroite les différents operateurs. Ensuite, il faut mettre en place la confiance et que la coopération sud-sud ne soit pas juste un discours quand on parle de l’esprit Panaf. Il serait intéressant de dire, oui, les Sénégalais ont quelque chose à nous apporter et que c’est un outil dont on doit s’emparer. Arriver, par exemple, à faire éditer numériquement un livre algérien partout dans le monde et être rassuré sur le fait que l’éditeur, l’auteur et la plateforme auront chacun d’eux leur argent.

C’est votre deuxième participation au Sila, quelles sont vos impressions sur cette manifestation ?

C’est important d’être au Sila car, premièrement, je suis en Afrique. C’est un honneur immense. Je sais qu’en ce moment, il y a un problème entre les Algériens et l’Afrique mais, au-delà, c’est le sentiment d’être Africain. De parler de littérature en Afrique, de mon blog… c’est vraiment une reconnaissance qui me touche énormément. Ensuite, les rencontres dans l’espace Panaf sont très riches, humainement parlant. Car on a le temps de se poser et d’échanger avec les acteurs du livre africain et cela est très important. De manière générale, sur le Sila, ce qui m’impressionne c’est le caractère populaire de l’événement. Je vais au Salon du livre de Paris et celui de Genève, mais il n’y a pas cet aspect populaire. Il y a aussi un autre point qui m’impressionne, c’est la disparité des discours. Il y a une place pour différents discours, qu’ils soient intellectuels, religieux, francophones, arabophones et berbérophones. C’est donc très intéressant de voir autant de diversités et autant de mobilisation autour du livre. C’est un sens profond d’être témoin de cela et j’espère, qu’ailleurs en Afrique, il puisse y avoir cela.