Entretien avec le metteur en scène algérien établi en Chine Amir Frik: «L’art est, pour moi, l’humanité avant l’idéologie !»

Entretien avec le metteur en scène algérien établi en Chine Amir Frik: «L’art est, pour moi, l’humanité avant l’idéologie !»

Amir Frik, metteur en scène algérien, a imaginé, réécrit et mis en scène Savitri, un fabuleux spectacle inspiré d’une ancienne légende indienne. Le show, porté par des comédiens des quatre coins du monde, a rassemblé plus de13 nationalités en Chine. Doctorant en art dramatique en Chine et metteur en scène, Amir Frik est algérien, natif de Annaba. Passionné de théâtre, il en a fait une discipline en rejoignant l’Ismas en 2006. En 2010, il obtient une bourse d’études en Chine à l’Ecole de l’art dramatique à Beijing. Il a joué dans plusieurs pièces de théâtre au TNA et dans des théâtres régionaux en Algérie. L’artiste multiplie ses expériences en Chine  avec le film  sino-américain Beijing Gold et l’opéra,  En attendant Godot, en 2011.

Savitri est un spectacle de théâtre anthropologique hors du commun. Il est monté et réécrit  par Amir Frik avec l’aide du Dr russe Anna Tarasenko. Joué en Chine, à l’université d’art dramatique de Beijing, le spectacle baigne dans une aura de mysticisme, une mixture de langues et de dialectes. On y compte plus de 13, mais l’on n’est pas obligé d’être polyglotte pour apprécier, car brillamment traduit en langage des sens, des mouvements et du son. L’auteur l’appelle le théâtre pour tous. Ce genre de spectacles s’adresse à l’humanité  entière, un spectacle cosmopolite, qui va au-delà des bornes ethniques et religieuses. L’œuvre, à l’image de son auteur, est anticonformiste et porteuse d’un beau message d’humanité.

Le Soir d’Algérie : Un petit aperçu de  votre nouvelle pièce ?

Amir Frik :  Savitri est une ancienne légende indienne qui nous raconte l’histoire d’une jeune femme à la recherche de l’homme de sa vie. Pour y parvenir, elle choisit de voyager autour de la Terre, et réussissant enfin à le trouver, elle découvre qu’il est condamné à mourir au bout d’une année. Décidée à changer son destin, elle affronte l’ange de la mort dans le but de lui faire changer d’avis.

Que symbolise Savitri ?

Savitri est une force créatrice qui refuse de se conformer à tout système, fut-elle  la mort… C’est une fille au caractère différent de la société dans laquelle elle vit (elle est symbolisée par le feu car elle est embrasée, vive, belle et peut être nocive dans certains cas). Quand Savitri apprit qu’elle ne trouverait pas son bien-aimé dans son royaume, elle décida de partir en voyage à la recherche de sa vérité ou de son amour (la vérité étant les questions que nous posons dans nos vies sans y trouver de réponses, qu’elles soient horizontales sur le divin, ou verticales pour notre simple vie)… Savitri  affronte la  mort et tente de changer son destin…

Yama, roi de la mort dans le conte, est une incarnation/métaphore de tout système quel qu’il soit, tandis que Savitri est  le symbole de la liberté dans toutes ses significations… C’est le premier degré dans la mystique soufie…, la libération du corps en premier et la communion avec l’esprit pour réaliser l’impossible.

Savitri était-il un projet algérien avant qu’il ne devienne  international ?

L’idée de Savitri m’a hanté des années durant. C’était un projet ambitieux proposé au Théâtre national algérien en 2015. Après bon nombre de difficultés et beaucoup d’insistance pour pousser le projet et qu’il m’ait été exigé que je fasse au préalable une petite partie de la pièce, avec mes propres moyens, devant le comité technique. Le projet n’a pas été mis en œuvre faute de moyens de production… J’ai donc décidé de l’exporter vers l’international et en particulier en Chine.

Vous êtes donc allé chercher le savoir jusqu’en Chine…

La Chine était pour moi une chance inouïe, en obtenant une bourse d’études en 2010 à l’Ecole de l’art dramatique à Beijing.  J’ai pu suivre la voie de mes prédécesseurs : Peter Brook, Jerzy Grotowski et Barba Eugenio. Leurs recherches, comme les miennes, étaient axées sur le théâtre anthropologique de l’Orient. Ce sont à la fin des idées orientales, avec une vision occidentale.

En Chine, je me suis spécialisé en coaching et orientation du comédien au théâtre et au cinéma, et j’ai développé une technique qui s’appelle «sufi technique in acting».

En quoi consiste la «sufi technique in acting» ?

C’est une technique acquise par le développement de l’esprit et du physique (ensemble et en parallèle) en comédie ou en danse. Tout cela, selon une pratique spirituelle, liturgique et anthropologique comme dans l’ancienne culture primitive asiatique ou africaine, par exemple le yoga, le tai-chi et le qi gong.

Le spectacle, c’est un peu un carrefour de cultures ?

Chaque culture est riche d’histoires folkloriques qui sont étroitement liées avec les anciens rites et traditions. Ils sont la base du théâtre anthropologique, car ils forment son art visuel. Présenter un spectacle avec des acteurs qui viennent de tant de cultures est une expérience unique, parce que chacun apporte une touche différente et une compréhension différente, c’est ce qui fait la force du spectacle. Je vois en Savitri la symbolique de l’anticonformisme, de l’inaliénation… L’art est, pour moi, l’humanité avant l’idéologie !

Entretien réalisé par Chahinez Fettaka