Edition: Quand l’Imam Malik écrivait au calife abbasside Haroun ar-Rashid…

Edition: Quand l’Imam Malik écrivait au calife abbasside Haroun ar-Rashid…

Le savant médinois Malik ibn Anas (93-179 hégire/711-795 J.-C.) est, comme on le sait, le fondateur de l’école de jurisprudence ou rite (madh’hab) malikite. Il a adressé une épître au calife abbasside Haroun ar-Rashid. Dans cette lettre, on voit l’imam disserter de mille et un détails d’ordre théologique ou éthique, prodiguant généreusement ses conseils, des conseils qu’il appuie toujours par des versets coraniques ou des hadiths du Prophète.

Vient de paraître aux éditions de la Librairie de philosophie et de soufisme d’Alger (en double version arabe et française), sous le titre de «Épître sur les préceptes religieux et moraux de l’islam (Rissala fi ’l-mawâ‘iz wa s-sunan wa l-adab)», un ouvrage attribué à l’Imam Malik ibn Anas, le célèbre maître médinois du hadith et du fiqh. Ce texte est censé être celui d’une épître (rissala) que l’illustre imam aurait écrite et adressée à ses non moins illustres contemporains, maîtres du pouvoir temporel, le calife abbasside Haroun ar-Rashid, et, accessoirement, son grand vizir, Djaâfar al-Barmaki.

La première question qui vient à l’esprit est : ce texte est-il authentique ? En d’autres termes, a-t-il vraiment été rédigé par l’Imam Malik à l’intention du calife Haroun ar-Rashid, ou bien n’est-ce guère qu’un apocryphe faussement attribué au grand jurisconsulte et traditionniste de la ville du Prophète ? Ismaïl Rachedi, le traducteur-adaptateur, s’appuyant essentiellement sur un très sérieux travail de recherche et d’analyse auquel se sont livrés Riyad Mustafa Shahin et Muhammad Shaâban Abu Ridwan, deux chercheurs palestiniens de l’Université islamique de Gaza, conclut lui aussi «en faveur de la plausibilité de l’attribution de l’épître à Malik». Chose qui ôte ainsi «toute créance aux allégations de ceux qui — généralement par simple suivisme et mimétisme — s’empressent de crier à l’apocryphe sans autre forme de procès».

Quant au contenu de la rissala, il se présente comme une somme de conseils et d’exhortations, et s’ouvre par : «j’ai écrit à ton intention un livre dans lequel je ne me suis épargné aucun effort pour ce qui est de te montrer le droit chemin et je n’y ai pas non plus été avare de bons conseils pour toi ; je l’ai fait pour rendre grâce à Dieu et pour faire preuve de politesse selon l’enseignement du Messager de Dieu — Dieu prie sur lui et le salue ! —. Tâche donc de bien méditer cette épître avec ta raison, examine-la soigneusement et avec insistance et prête très attentivement l’oreille aux recommandations qu’elle recèle. Ensuite, que ton cœur retienne ces sages préceptes et qu’il s’imprègne profondément de leurs significations. Que jamais celles-ci ne quittent un seul instant ton esprit, car elles sont une source de faveurs en ce bas monde et assurent la bonne rétribution auprès de Dieu dans la vie dernière.»

Les sujets abordés dans la rissala se rapportent «aux choses de la religion musulmane, aux dévotions — prière, aumône, jeûne, rites du pèlerinage —, aux invocations à prononcer dans des situations particulières), aux règles de l’hygiène rituelle que tout musulman doit observer, aux interdits alimentaires, aux bons usages en matière vestimentaire, à la morale sexuelle, à la manière de bien se tenir en société». On remarquera que tous les conseils et exhortations de l’auteur sont appuyés par «des citations de versets du Coran ou des paroles du Prophète (hadiths) ou de ses compagnons, voire de doctes personnages religieux». Ce qui fait que tous les enseignements de l’épître sont adossés «à l’autorité du Coran, Parole de Dieu, et à celle de la tradition authentique de Son Prophète (as-sunna as-sahiha)».

Quasi-invariablement, après avoir recommandé ou défendu une chose, l’auteur justifie son propos en le faisant suivre de la formule : «Fa-innahou balaghani aâni ’n-nabiyyi salla Allahou aâlayhi wa sallama» (il m’a été rapporté que le Prophète — Dieu prie sur lui et le salue ! — a [dit ou fait]). En bon adepte des principes de la voie du Kitab (Livre de Dieu, Coran) et de la sunna (tradition du Prophète), il n’invente donc rien, et ne fait guère que transmettre fidèlement et scrupuleusement.

L’Imâm Malik ne fut pas un savant religieux et un jurisconsulte ordinaire. À l’exemple des autres grands chefs de file des fondateurs des rites juridiques musulmans sunnites (Abu Hanifa, Ash-Shafiî et Ahmad ibn Hanbal), il se distingua par un courage exemplaire, refusant inflexiblement de se soumettre aux volontés des califes abbassides et à celles de leurs gouverneurs. Son intransigeance et ses critiques vis-à-vis du pouvoir, lui valurent la prison, la torture physique et morale, et les pires humiliations publiques, épreuves qu’il subit avec une résignation et une équanimité mémorables. On lit ainsi à ce sujet dans la Parure des Saints (Hilyat al-Awliya’e) d’Abu Nu‘aym al-Isfahani (336-430H./948-1038 J.-C.) que Malik «s’était réalisé par la piété, et il fut éprouvé par les plus dures épreuves».

L’Imâm Malik rendit l’âme en l’an 179 de l’ère hégirienne (795 J.-C.). «Il fut inhumé dans le cimetière médinois d’al-Baqî‘, à proximité, dit-on, de la tombe d’Ibrahim, fils de l’Envoyé de Dieu et de Maria-la-Copte.»

Kader B.