Cela est arrivé le 3 septembre 1964: exécution du Colonel Chaabani

Cela est arrivé le 3 septembre 1964: exécution du Colonel Chaabani

1537504564.jpgMohamed Chaabani était le produit de la plus illustre université algérienne de l’époque, de la fameuse  université Ben Badis (Constantine.) Il faisait partie des officiers de la révolution algérienne qui n’était pas issus des rangs  « Du hizb França ».

Quelque mois avant la fin de la guerre d’Algérie, Chaabani sera promu colonel d’une wilaya VI qui n’existait plus depuis la mort au champ d’honneur du colonel Haouès en mars 1959. A la fin de la guerre d’Algérie, Chaabani va afficher au grand jour son hostilité à Boumediene et sa cohorte des DAF.

Pour le neutraliser, Boumediene, alors vice président et ministre de la défense, manœuvre pour nommer son irréductible adversaire, membre du bureau politique et premier adjoint du chef d’état major.

Cependant, l’heureux promu refuse : d’obéir aux ordres de sa hiérarchie, de quitter sa région militaire, la IV, pour se rendre à Alger, assumer ses nouvelles fonctions.

A l’occasion du congrès du FLN de 1964, du haut de la tribune, le colonel Chaabani va dénoncer Houari Boumediene pour avoir placé, aux postes clefs de l’administration et de l’armée algériennes, des officiers qu’il appelait : « Du hizb França » (alliés de la France.)

Son intervention a suscité un interminable applaudissement de la part des congressistes qui scandaient : « Epurations » et « Nettoyage » de l’administration et de l’armée algérienne des martiens (ralliés de la 25ème heure.)

Aux accusations graves proférées par Chaabani, largement approuvées par les congressistes, Boumediene reconnaît les faits qu’il légitime par le manque de cadre et techniciens algériens compétents.  « Je préfère, dit-il, confier l’armée algérienne à des algériens qu’à des étrangers. »

Pendant que d’autre lui  rétorquaient : « On préfère ne pas avoir une armée du tout que d’en avoir une dirigée par des traîtres. »

Pour contrer la monter en puissance de Boumediene et de ses DAF, Ben Bella nomme, sans consulter son vice président et ministres de la défense, le colonel Tahar Zbiri, un non DAF, chef d’état major et le colonel Mohamed Chaabani, un autre non DAF, premier adjoint. Il charge Mahmoud Guennez de mettre sur pied une milice populaire armée.

Boumediene presse Ben Bella de faire venir Chaabani à Alger pour assumer ses nouvelles fonctions et de doter la IVème région militaire d’un nouveau chef. Pour ramener à la raison révolté, selon Tahar Zbiri, Ben Bella lui envoie une délégation composée de : Tahar Zbiri, du commandant Mendjli et d’Aït Ahmed, sans doute avant qu’il ne prenne le maquis. Cependant Chaabani  avait catégoriquement refusé d’obtempérer. Il refuse d’obéir aux ordres de sa hiérarchie, à Boumediene et ses sbires issus de l’armée coloniale. Il reproche également à Ben Bella d’avoir nommé Mohamed Khobzi, originaire d’Ouargla, de la wilaya VI, sans l’avoir consulté préalablement, entre autres.

Tandis que Boumediene revient à la auprès de Ben Bella afin qu’il mette fin aux activités de du colonel rebelle. Par téléphone, le président il invite çà le rebelle à prendre conscience de la gravité de ses actes, à renoncer à sa désobéissance à sa hiérarchie et à se rendre à Alger pour assumer ses nouvelles fonctions. Pour toute réponse, Chaabani traite le président de : « Politicard pourri… »

A noter qu’à la même époque, Mohamed Khider, un proche de Chaabani,  avait déserté le secrétariat général du FLN, Aït Ahmed, Krim Belkacem, Mohamed Boudiaf passaient à l’opposition armée.

Ben Bella donne le feu à son vice président et ministre de la défense de neutraliser Chaabani. L’opération sera confiée au colonel Abdellah Belhouchet. Sans doute abandonné par une partie des siens, quasiment sans  résister, le mutin se laisse arrêter le 7 juillet 1964 à Biskra. Il sera  transféré  la prison d’Oran où il sera mis aux arrêts jusqu’à son jugement.

Jugement de Mohamed Chaabani. L’instruction de l’affaire Chaabani sera confiée à un DAF très tardif, au capitaine (moulazim than), à Mohamed Touati. Ce même DAF instruira plus tard l’affaire de Tahar Zbiri. Ses basses besognes le hisseront au rang de général major, conseillé à la présidence et sans doute le cerveau (Moukh) des janviéristes qui ont contraint Chadli à la démission en janvier 1992 et plongé l’Algérie dans une interminable, sanglante et dévastatrice guerre civile.

Selon Tahar Zbiri, le tribunal militaire qui jugera le colonel Chaabani sera composé comme suit :

Président, Mahmoud Zertal, nommé par Ben Bella. : Chadli Ben Djédid, le commandant (ra’id ) Abdelghani, Abderrahmane ben Salem, Ahmed Draïa et Ahmed Ben Cherif, nommés par Boumediene. Selon la même source, le colonel Abdellah Belhouchet avait été sollicité pour siéger au tribunal spécial mais il avait décliné l’offre.

Le président, Zertal, désigne Ahmed Draïa comme procureur de la « République. » Les principaux chefs d’accusation retenus contre le colonel Mohamed Chaabani sont : désobéissance à sa hiérarchie (ettamaroud) et espionnage au profit de la France, d’une puissance étrangère.

Le procès marathon, à huis clos, sans défenseur pour les accusés,  durera quinze heures, soit du 02.09 à onze heures (du matin) au 03.09.1964 à deux heures (du matin.) Chaabani sera condamné à mort.

 

Ben Bella pouvait-il le gracier ? Dans des Etats de droits, en principe, il y a séparation entre les  pouvoirs : législatif, judiciaire et exécutif. Au nom de l’indépendance de la justice, la grâce des condamnés à morts ne fait pas partie des prérogatives du président des Etats-Unis, par exemple. En revanche, dans beaucoup d’autres pays, autrefois en France, malgré la séparation des pouvoirs, le Président de la république est aussi le premier magistrat du pays. A ce titre, il avait le pouvoir de gracier des condamnés à peine capitale. (La France a aboli la peine de mort au début des années 80.)

Même un novice en droit peut imaginer qu’en chef d’Etat, qui dispose du droit de grâce, n’agit pas seul mais il doit être d’abord saisi selon une démarche stricte et conforme aux prescriptions du code de procédure pénale, convoquer son conseil, étudier, cas par cas, le dossier du condamné, avant de prendre sa décision, d’accorder ou de rejeter la demande de grâce d’un condamné à mort.

Quel est le délai minimum nécessaire pour une saisine d’une chef d’Etat en vue de gracier un condamné à une peine capitale : saisine conforme à la procédure pénale, convocation du conseil de grâce, étude de dossier du condamné, temps de réflexion… avant que le chef d’Etat rende sa décision de grâce ou de rejet ?

Reprenons, le procès marathon de Mohamed Chaabani s’était ouvert, à Oran, le 2 septembre 1964 à 11 heurs du matin. Il s’était achevé le 3 septembre 1964 à 2 heures du matin. Le condamné a mort par se pairs a été exécuté trois heurs et quart plus tard, le 3 septembre à 5 heures 15 minutes du matin.

Le 4 septembre 1964, un sommet arabe dont la date avait été fixé longtemps auparavant, s’était tenu au Caire en vue de mettre sur pied : « Un conseil de sécurité arabe. » Les délégations qui devaient assister à la rencontre au sommet du Caire devaient être composées : des chefs d’Etats, des ministres : de la défense, des affaires étrangères et des finances. Vu que Houari Boumediene était à la foi ministre de la défense et vice président, il avait été remplacé par Tahar Zbiri, par le chef d’état major de l’armée algérienne.

Un Président de la république, aussi libre, équitable et puissant puisse-t-il être, ne pouvait pas gracier un condamné à mort par un tribunal martial spécial, sans être préalablement saisi d’une demande en règle, sans convoquer son conseil, sans étudier le dossier du  malheureux condamné par ses pairs, à la faveur de la nuit et exécuté précipitamment et enterré dans l’anonymat, à la sauvette, dans les heures qui ont suivi le prononcé de sa condamnation , le 3 septembre 1964, à 5 heurs 15 minutes du matins ?

Pour écrire cette note nous avons relu sur ce sujet plusieurs versions exprimées entre le début des années 70 et 2011, notamment par : Houari Boumediene, Ahmed Ben Bella, Ahmed Ben Chérif, Chadli Ben Djédid, Gilbert Meynier et plus récemment par Tahar Zbiri. La version de ce dernier, qui recoupe en partie celle de Ben Bella, de Ben Chérif et de Gilbert Meynier, semble être la plus vraisemblable.

Chaabani a été condamné et exécuté sans que le président ne soit saisi, dans les délais requis par le code de la procédure pénale, d’une demande de grâce. A notre humble avis, Ben Bella ne pouvait pas sauver le colonel Chaabani. Cependant, le débat doit rester ouvert.