Brahim mezned , directeur de ia for music, à l’expression : « Les artistes algériens aiment venir au Maroc »

Brahim mezned  , directeur de ia for music, à l’expression : « Les artistes algériens aiment venir au Maroc »

Il est une des plus grandes et importantes personnalités du monde de la culture au Maroc. De lui nous n’avons entendu que du bien. Cet homme qui est à la tête de l’une des plus grosses infrastructures musicales dédiées aux musiques d’Afrique et du Moyen-Orient peut se targuer de porter sur ses épaules un rendez-vous annuel attendu par les professionnels du disque du monde entier. Comme un veilleur au grain, il était partout, que ce soit le jour ou la nuit pour voir son bébé grandir et veiller au confort de ses invités. Difficilement certes, mais avec acharnement et beaucoup d’ambition pour que cet évènement continue à survivre malgré quelques restrictions budgétaires avons- nous appris…Comme un commandant de navire, Brahim Mezned est prêt à tout donner.

A tout encaisser. Manager culturel, musicologue, ethnologue, directeur artistique du festival Timitar d’Agadir et de Visa for Music, Brahim El Mezned compte aussi à son actif une anthologie consacrée à l’Aïta, l’histoire des chikhate du Maroc. C’est dire que la musique coule dans ses veines. Nous l’avons rencontré durant la 4e édition de Visa for Music qui s’est tenue du 22 au 25 novembre à Rabat. Entretien…

L’Expression: Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a poussé à monter ce salon?

Brahim Mezned: En fait, je suis un grand voyageur. Cela fait 25 ans que je suis dans le secteur et j’ai visité la plupart des grands marchés de la musique, à travers le monde. J’ai eu cette frustration de voir que certains pays européens ont quatre, cinq, six salons des rencontres annuelles de la musique, mais dans l’ensemble de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient il n’y a pas un seul rendez-vous de cette nature.

En Afrique, il y a six ou sept salons. Il y avait un besoin réel de créer une plate-forme ici au Maroc, parce que le Maroc a fait beaucoup de choses ces dernières années, les acteurs indépendants ont mené beaucoup de projets. Il y a une relation à l’espace public qui est différente de celle de certains pays. Il existe énormément de grands festivals au Maroc, je me suis dit que dans la situation économique actuelle on est plus jugé sur ce qu’on vend que sur ce que nous achetons. Qu’il serait bon de créer une plate-forme qui réunirait à la fois l’Afrique blanche avec l’Afrique noire, le Machrek avec le Maghreb, et qui invite les professionnels de musique du monde entier pour connaître l’actualité musicale, ici dans notre pays, en Afrique, dans la zone Mena. Bien évidemment, c’est un rendez-vous qui réunit les professionnels, qu’ils soient directeurs de festivals, artistes, managers, tourneur, bookeur, directeur de salles etc. C’est aussi un espace où nous menons beaucoup de moments de réflexion avec des conférences, débats, des ateliers que nous menons aussi…

Quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face?

Les difficultés auxquelles on fait face c’est la non-compréhension parfois de ce type d’événement par les pouvoirs publics, mais également par les sponsors. On aurait bien souhaité avoir les moyens pour que nous puissions travailler d’une manière assez confortable parce que c’est un projet qui génère beaucoup de revenus pour la ville, pour les artistes ça provoque beaucoup de projets. Mais quelque part, nous ne sommes pas à la recherche de sponsors, mais plutôt de mécènes qui seraient beaucoup plus intéressés par l’apport de la culture à la communauté, l’apport des industries créatives en termes d’emploi et revenu et pour le moment nous n’avons pas encore dans notre région l’esprit de mécénat comme on le trouve dans un certain nombre de pays. J’espère que la réussite de cette édition pourra mobiliser notre fonds pour l’année prochaine.

Comment établissez-vous la sélection d’artistes sachant que cette année vous avez reçu je crois savoir environ mille propositions artistiques?

Plus précisément 1042 candidatures du monde entier. Nous avons sélectionné une cinquantaine d’artistes. La sélection se fait par un jury composé chaque année d ‘un collectif différent. Chaque année nous avons un jury constitué d’un Marocain, d’un autre Maghrébin, d’ailleurs cette année c’est une Algérienne, il s’agit de Ourida Yaker, aussi, quelqu’un de l’Afrique de l’Ouest, de l’Afrique anglophone et enfin un du Moyen-Orient. Donc chaque année ce collectif qui vient d’univers différents de musique actuelle et traditionnelle, en étant chacun connaisseur de sa région, c’est lui qui nous permet d’avoir une bonne sélection.

Comment se met en place cette installation hyper lourde du marché qui s’étale sur trois étages au niveau du théâtre Mohammed V?

Oui, c’est une installation très lourde. Ça mobilise beaucoup de moyens. L’équipe est assez réduite. On fait de notre mieux pour ne pas être dépassé par la lourdeur de ce projet. Parce qu’il y a quand même 1200 professionnels qui sont venus, 85 pays représentés, et il y a une trentaine de pays africains ici présents, des professionnels du monde entier, donc on fait de notre mieux pour qu’on puisse gérer le mieux avec les moyens que nous avons pour que cela puisse marcher.

Et au bout de cette quatrième édition êtes-vous content et satisfait et avez-vous vu des projets se concrétiser véritablement et des contrats se nouer?

On fera le bilan après, mais je pense qu’il y a eu beaucoup de contacts qui ont été menés, notamment lors des speeds meeting, et les one to one que nous organisons, beaucoup de rencontres en tout cas. Mais il y a plein de choses qui nous échappe, car on ne sait pas tout. On ne fait pas de business là-dessus. Mais en terme général, on peut estimer grâce à ces contacts environ une centaine de dates de concerts qui se sont vendus et pas uniquement pour les Marocains ou les Africains. Il y a énormément de dates de concerts qui ont été conclus et pas seulement pour les Maghrébins. Cela dit pour info, le groupe algérien Labess qui s’est produit l’année dernière ici a plus conclu plein de dates partout dans le monde grâce à Visa for Music. La même chose pour le groupe Djmawi Africa. Je pense que les artistes algériens pourront témoigner là-dessus…

Justement, j’allais vous demander quelle est la part de l’Algérie dans Visa for Music?

Les artistes algériens aiment venir ici. Ils ont beaucoup de plaisir à venir se produire chez nous. Et d’ailleurs, on reçoit beaucoup de monde. L’Aarc est souvent présente avec nous. En tout cas, chaque année on défend la présence d’au moins un artiste algérien au sein de la programmation. Cette année nous avons le revival du groupe Raïna Raï avec nous. D’ailleurs son premier succès a eu lieu au Maroc. Peut-être même avant l’Algérie. C’est un groupe qui est pour nous très attendu.

En matière de droits d’auteur Visa for Music donne à écouter beaucoup de musiques. Comment faites-vous avec tous ces concerts et show-case qui se font et comment cette structure arrive-t-elle à payer les redevances de tel ou tel artiste?

Nous ne sommes pas un festival, mais un marché. On n’est pas sur des cachets lourds avec des recettes lourdes. Les artistes reçoivent un petit cachet. Ce qu’on appelle le cachet minimum qui se traduit sous forme de perdiem. On n’est pas du tout dans la même démarche qu’un festival. Cela dit-on est en dialogue avec le bureau des droits d’auteurs et là, on espère pour les années futures un vrai partenariat parce que comme je disais ce n’est pas un festival. Le bureau des droits d’auteur n’est pas encore partenaire.

Justement, d’après ce que j’ai compris, le Maroc n’a pas encore de structure habilitée à collecter et distribuer directement l’argent des redevances à ses artistes marocains. Pas comme en Algérie par exemple…

Nous avons un bureau des droits d’auteur qui connaît des mutations différentes. En fait, c’est la Sacem France qui est liée au droit d’auteur -depuis plusieurs années par une convention d’ailleurs- qui gère la répartition. Parce que la Sacem gère aussi les recettes des Marocains à l’étranger. C’est un deal qui n’existe pas seulement au Maroc, mais dans d’autres territoires.

J’ai ouï dire d’un conflit qui a éclaté une semaine avant la tenue de Visa for Music justement entre le bureau des droits d’auteur et Visa for Music. Pourriez-vous-nous éclairez là-dessus?

Il s’agit tout simplement ce que j’expliquais au début. Nous, comme marché on a toujours été prêts à payer les droits d’auteur mais pas dans la même démarche qu’un festival. Comme on a très peu de moyens, si on paye comme n’importe quelle manifestation privée on ne pourra pas survivre. Et là, finalement, avant même le démarrage de Visa for Music on a signé un accord avec le bureau des droits d’auteur. Les choses devraient rentrer dans l’ordre maintenant.

Que stipule cet accord?

On s’est entendu sur un forfait que nous allons payer annuellement. Cela a pris du temps pour ce dialogue avec des moments de haut et de bas, de tensions et d’autres plus calmes, mais ce sont des choses qui existent dans tous les secteurs.