Bentalha, 20 ans plus tard: pour ne pas oublier l’horreur de la nuit du 22 au 23 septembre 1997

Bentalha, 20 ans plus tard: pour ne pas oublier l’horreur de la nuit du 22 au 23 septembre 1997

Il y a 20 ans jour pour jour, se produisait le massacre de Bentlha. Une nuit  cauchemardesque, où des centaines de personnes ont été assassinés : hommes, femmes, bébés, ont été massacrées. L’équipe d’Algérie 360 a rencontré Fouad, qui été âgé de 21 ans ce jour-là. Retour en arrière …

La nuit du massacre, il est 10h30…

« Même si c’était il y 20 ans, cette nuit hante toujours mon esprit, elle restera gravé à tout jamais » nous affirme Fouad, aujourd’hui père de famille, il vit toujours à Haï el Djilali, où s’est produit le massacre, et compte parmi les victimes du terrorisme. « À cette heure-là, j’étais avec des amis au niveau de notre terrasse, à cette époque, nous hébergions plusieurs voisins à la maison, le massacre de Rais nous avait choqué, du coup, nous avons invité nos voisins pour passer la nuit chez nous, la compagnie fait toujours plaisir, surtout en temps de guerre civile ». attristé, nous déclare Fouad. « Notre terrasse faisait office de Mirador, dés lors qu’on remarquait un mouvement suspect, on déclenchait la sirène. » Poursuit-il. « Tard dans la nuit, vers 22h30, nous avons entendu une forte explosion, et les cris des voisins, un seul coup d’œil, et on a compris les intentions des  hommes armés regroupés au niveau du quartier. Ils étaient une soixantaine ! » Nous rapporte Fouad, le visage triste. « Je suis vite descendu à l’étage au dessous pour alerter les autres, et nous nous sommes retranchés dans un coin de la maison, l’émotion était très forte ».

02h du matin… L’heure où tout a basculé

« Nous étions une vingtaine de personnes au premier étage de la maison.  À un certain moment, je me suis dirigé vers ma mère (Paix à son âme). Je lui ai demandé des excuses, et je l’ai embrassé fort …..Sa seule réponse : fuis Fouad ! Sauve ta vie, en larmes, je lui répondu je vais mourir cette nuit, et je préfère y passer le premier, ainsi je n’aurai pas à voir ma famille décapitée… » Déclare Fouad, la voix cassé, les yeux en larmes. « Aux environs de 2h du matin, l’un des membres du groupe armé a démasqué notre planque, il a vite appelé des renforts. De notre coté, on a bloqué le seul accès à notre lieu, en faisant poids sur la porte avec nos épaules… après un moment passé à résister, les assaillants on pu forcer la porte». Poursuit-il, «Au moment où ils ont forcés l’entrée, je me suis retrouvé coincé derrière la porte, par précipitation, et panique des uns, et des autres, les assassins n’ont pas pu remarqué la présence derrière la porte… »

« Rassurez-vous, on vous fera aucun mal… »

« Derrière la porte, j’ai entendu l’un d’eux s’adresser à ma famille, et mes voisins, en leur assurant qu’ils n’ont rien à craindre, tant qu’il n’a pas d’armes dans la maison. A ce moment, j’ai cru en sa parole, je me disais que personne n’a d’arme, alors probablement on sera épargnés… » Explique-il « Dés qu’ils ont réussi à calmer l’atmosphère, ils les ont séparés en deux groupes, les femmes dans une chambre, et les hommes de l’autre coté. De ma position, j’entendais tout, les deux chambres étant à proximité, je pouvais distinguer la voix de mes voisins..L’un des premiers à être assassiné, était un ami, Aissa (Paix à son âme), il  a demandé aux assaillants d’épargner tout le monde. Aussitôt qu’il avait terminé de parler, on lui a tiré dessus, et à partir de ce moment, je n’entendais que des cris… Ils égorgeaient froidement… sans aucune pitié » rétorque Fouad, la voix triste.  « A cet instant, mentalement, tout me semblait extrêmement lent, comme si l’on m’a injecté un puissant anesthésique.  J’étais totalement paralysé, j’entrais en état de transe total, pendant plus d’une demi heure, j’étais totalement déconnecté du monde réel ».

Un moment après, place au constat ….

« Une demi heure après, j’ai repris mes esprits, j’ai vite réalisé que l’étage était en feu !  je me suis vite retranché dans un coin, évitant les flammes, et la fumée, c’est à ce moment que j’ai constaté l’ampleur des dégâts…des mares de sang partout, des corps décapités, c’était ceux de mes voisins, de ma famille… » Déclare t-il.

J’ai perdu ma mère, et mes quatre sœurs durant le massacre

« Une fois que les meurtriers ont quitté les lieux, j’avais réalisé que ma grande sœur avait été tuée par balles. Plus tard, je découvris que ma mère et ma jeune sœur avaient été retrouvées mortes à proximité de notre maison, elles aussi tuées par balles. Quant à mes deux autres sœurs…Elles ont été kidnappées par les assaillants, qui, avant leur départ, ont enlevé une vingtaine de jeune filles » ému, nous déclare Fouad. « J’étais abattu, fou de rage… Perdre un membre de sa famille n’est pas facile ! Imaginez en perdre cinq en une nuit ! Un pénible sentiment ».

Patriote, l’unité paramilitaire  …

« Quelques jours après le massacre, je me suis engagé en tant que patriote, une seule idée dans la tête: venger la mort de ma famille. Nous étions en charge de notre secteur, nous avons contribué à plusieurs opérations militaires, et détruit plusieurs casemates non loin de notre quartier » nous affirme Fouad. « Nous avons combattu aux côtés des forces de sécurité algériennes contre les groupes terroristes » soutient-il. « Je trouve qu’il est tout à fait légitime que maintenant, en période de paix  on revendique notre droit  à une pension militaire… » Rétorque Fouad  .

Le massacre de Bentalha compte parmi les nombreux massacres qui ont marqué profondément la mémoire des algériens durant la décennie noire, engendrant la mort de milliers de personnes, et la disparition de plus de 8000 autres selon l’État algérien. Un chiffre largement sous-estimé selon la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH) et d’autres ONG qui évalue à 18.000 le nombre de disparus.

Aujourd’hui, 20 ans plus tard, il est de notre devoir de se rappeler de ces milliers de femmes et d’hommes tombés durant cette décennie de sang, afin que l’histoire ne puisse plus se reproduire.

Djabri Mounir