Algérie: Le pari risqué de M. Sellal sur les réserves de change

Algérie: Le pari risqué de M. Sellal sur les réserves de change

CHANGE.RESERVES.jpgLe débat sur l’avenir des réserves de change algériennes a rebondi à la faveur des déclarations récentes du Premier ministre. M. Abdelmalek Sellal a pris un pari très risqué en confirmant de nouveau, voici quelques jours, l’objectif des pouvoirs publics  de les maintenir, d’ici fin 2018, au dessus du seuil des 100 milliards de dollars. Des déclarations qui font suite à l’analyse publiée au cours de l’été par la Banque Mondiale  qui évoquait de son coté des réserves réduites à 60 milliards de dollars fin 2018.

Quel niveau pour les réserves de change à fin 2018? Soulignons d’abord que cette date n’est certainement pas choisie par hasard et correspond en gros à la fin du 4ème mandat du Président Bouteflika (début 2019); ce qui peut expliquer la sensibilité des autorités algériennes sur un  chapitre dont on sait qu’il tient à cœur au Chef de l’Etat. D’où certainement  les assurances du Premier ministre  sur un niveau plancher de 100 milliards de dollars et celles également, qui l’ont précédées, de la Banque d’Algérie sur la « réactivité » des pouvoirs publics face à la crise financière. Une réactivité des autorités financières algériennes d’autant plus nécessaire qu’un certain nombre d’analystes n’hésitent pas à considérer  l’annonce de la fonte accélérée des réserves de change en 2015 (réduites de 35 milliards de dollars ) comme la raison essentielle du limogeage du tandem Laksaci – Benkhalfa intervenu à la veille de l’été.

Le pavé dans la mare de la Banque Mondiale

C’est une information rapportée voici quelques jours par la très officielle agence de presse algérienne APS. L’Algérie et la Banque mondiale (BM) devaient tenir fin août, une discussion sur les perspectives de l’économie algérienne dans le sillage de la faiblesse des cours de pétrole. Une occasion sans doute de faire quelques mises au point et de se mettre d’accord sur des chiffres qui ont provoqué une polémique en plein cœur de l’été. L’analyse relative à l’économie de l’Algérie, publiée fin juillet dernier dans le bulletin trimestriel d’information économique de la région MENA, a fait l’effet d’une bombe. L’institution basée à Washington annonçait que les réserves de change de l’Algérie risquaient de tomber à 60 milliards de dollars fin 2018. Une perspective d’autant plus gênante que le Premier ministre, M. Abdelmalek Sellal, avait déjà  assuré, quelques jours plus tôt, que les réserves de change de l’Algérie ne descendraient en aucun cas sous la barre des 100 milliards de dollars. Il n’en fallait pas plus pour que la Banque d’Algérie sorte de sa réserve traditionnelle en rendant public un long plaidoyer en faveur des réformes financières en cours, expliquant en substance , sans mentionner de chiffre précis, que le niveau des réserves serait « nettement supérieur à 60 milliards de dollars fin 2018 ».

Ce que disait la Banque Mondiale  

L’analyse de la Banque Mondiale avait souligné que la faiblesse des cours de pétrole , qui semble s’installer dans la durée, a entraîné des changements dans les économies des pays pétroliers de la région MENA, confrontés à un recul des recettes dans un contexte de déficit budgétaire croissant. Selon les observations de la BM, l’Algérie a pu résister jusqu’ici  au choc grâce surtout à son faible endettement et son niveau de réserves.

C’est en utilisant les données fournies par les autorités financières algériennes elles même que les experts de la Banque Mondiale se sont livrés à un calcul en réalité très basique. A fin 2015, les réserves officielles de change de l’Algérie se situaient à exactement 144 milliards de dollars, selon les chiffres définitifs rendus publics dans son dernier rapport de conjoncture à fin juillet dernier seulement par la Banque d’Algérie. Sur cette base, la BM mondiale estime, dans le prolongement des estimations des autorités financières algériennes pour 2016, que  le déficit de la balance des paiement devrait se situer entre 27 et 28  milliards de dollars au cours des 3 prochaines années (la Banque d’Algérie parle d’un déficit prévisionnel de 27,5 milliards de dollars en 2016). Faites le calcul vous-même. Il ne reste plus qu’environ 60 milliards de dollars à fin 2018…

La Banque d’Algérie monte au créneau

Les autorités algériennes ne sont pas d’accord avec ce calcul parce qu’elles estiment qu’elles ont mis en œuvre un certain nombre d’actions qui vont modifier la tendance des derniers mois et dont les résultats vont se faire sentir principalement en 2017 et 2018.

C’est le sens du commentaire de la Banque d’Algérie suivant lequel : « Le rapport de la Banque Mondiale sur la région MENA situant le montant des réserves de change de l’Algérie, à l’horizon 2018, à 60 milliards de dollars paraît quelque peu alarmiste ». En fait, le reproche essentiel de la Banque d’Algérie, qui exprime ici clairement le point de vue de l’ensemble des autorités algériennes, réside dans le fait que les projections de la BM « semblent tabler sur une totale inertie et absence de réactivité des pouvoirs publics ». « Le niveau des réserves à fin 2018 sera nettement supérieur à celui annoncé par la BM, notamment en raison des effets de la consolidation budgétaire et de l’impact de celle-ci sur les comptes extérieurs », affirment les locataires de la Villa Joly.

Des motifs d’optimisme

L’optimisme des autorités financières algériennes pour les 2 ou 3 prochaines années repose sur les signaux favorables qui concernent l’évolution à la fois des exportations et des importations.

 L’argumentaire développé par la Banque d’Algérie concerne d’abord les exportations en volume d’hydrocarbures. Il relève  qu’« au premier semestre 2016, et pour la première fois depuis 2006, les quantités d’hydrocarbures exportées sont croissantes conformément aux prévisions du groupe Sonatrach ».

Quant aux exportations en valeur, l’institution financière algérienne s’attend à une chute des revenus de l’Algérie en 2016 en raison de la baisse importante du prix du pétrole par rapport à 2015. Mais sur la base des prévisions d’augmentation des exportations d’hydrocarbures entre 2016 et 2018, couplées à une croissance des prix du baril, « cela se  traduira par une croissance des exportations d’hydrocarbures en valeur sur cette  même période ». Toutes les prévisions, y compris celle de la BM, s’accordent à dire que les prix de pétrole vont être supérieurs en 2017 et 2018  rappelle la Banque d’Algérie.

Concernant les importations, la Banque centrale rappelle qu’elles ont connu une tendance baissière depuis début 2015, chutant de 11,8% (de 59,7 à 52,7 milliards de dollars ), soit sept (07) milliards de dollars  en moins, en 2015 par rapport à 2014. Cette courbe baissière s’est poursuivie au premier semestre 2016 avec une diminution de 11,2% par rapport à la même période souligne la Banque d’Algérie qui estime que « ces évolutions inverses des exportations et des importations vont réduire substantiellement les déficits de la balance commerciale et, par conséquent, les déficits des balances courante et globale » à partir de 2017.

3 scénarios pour les réserves

En dépit de ces prévisions  rassurantes la Banque d’Algérie se garde bien de fixer un objectif chiffré pour les réserves de change et se contente d’affirmer que leur  niveau  à fin 2018 « sera nettement supérieur à celui  annoncé par la BM ». On se trouve donc aujourd’hui face à 3 pronostics différents concernant l’évolution de nos réserves de change  au cours des prochaines années.

Dans le premier scénario, le niveau de 60 milliards de dollars de réserves  évoqué par la Banque mondiale est certainement un niveau plancher (à moins d’un nouvel effondrement, toujours possible, des cours du baril au cours des 3 années à venir). Il prolonge en effet la courbe de 2015 en ce qui concerne à la fois les exportations et les importations sans tenir compte notamment des fortes  corrections apportées à la courbe des importations.

Dans le  deuxième scénario, les politiques mises en œuvre par les pouvoirs publics en matière de contrôle (et de contingentement) des importations pourraient permettre d’économiser encore une dizaine de milliards de dollars par an (par rapport au niveau d’importation de 52 milliards de dollars enregistré en 2015) .Notons qu’on s’oriente déjà vers des importations de marchandises réduites à 45 ou 46 milliards de dollars en 2016. Le reste dépendra des cours pétroliers …Des réserves de change de l’ordre de 80 milliards de dollars fin 2018 semblent , dans ce cas de figure,  un pronostic raisonnable puisqu’il tablerait  en gros sur le maintien des prix  pétroliers au cours des 2 ou 3 prochaines années  au niveau moyen enregistré en 2015 ( soit 53 dollars selon le dernier rapport de la Banque d’Algérie) .C’est globalement le scénario qui semble privilégié  la Banque d’Algérie.

Une autre façon de dire que le niveau plancher de 100 milliards de dollars évoqué par M.Sellal, qui constitue le troisième scénario, parait aujourd’hui très optimiste. Il supposerait en effet, soit une très bonne surprise avec des prix du baril supérieurs à 70 dollars en moyenne en 2017 et 2018, soit une réduction  drastique des importations à un niveau proche de 30 milliards de dollars dès l’année prochaine, ce qui semble tout à fait irréalisable.