Alger : ville poubelle

Alger : ville poubelle

Wilaya et citoyens se jettent la balle

Décidément, la gestion de l’hygiène publique, notamment le volet lié aux déchets ménagers, constitue le talon d’Achille de la wilaya d’Alger comme le montre ce reportage.

«C’est un peu l’histoire de ce chien tenant un os refusant de céder aux caprices du clébard», dira un septuagénaire rencontré à l’entrée du marché Réda-Houhou (ex-Clauzel). Mais ce que le vieux ne sait peut-être pas, c’est que le canidé a tout son temps pour venir à bout de son hobby, mais pas les services de nettoiement où chaque jour que Dieu fait, des tonnes de déchets supplémentaires viennent «garnir» les coins de rues et ruelles. Pour le commun des avertis, une telle situation n’est pas pour arranger la politique des autorités eu égard à tous les efforts consentis à ce chapitre. Abdelkader  Zoukh en a, rappelle-t-on, fait l’une de ses priorités au moment de son installation à la tête de la wilaya. Aussitôt dit, aussitôt fait, de gros moyens matériels pour une cagnotte de 600 milliards et un important effectif ont été mobilisés pour la rutilance des cités et rues de la métropole.

Plus de trois ans après, l’état des lieux est loin de valoir la promesse. Pour ce résident de la rue Hassiba-Ben Bouali «les campagnes de sensibilisation initiées par les autorités locales n’ont pas eu le  résultat escompté. Le spectacle des rues  sales, des poubelles pleines à craquer de toutes sortes de déchets est toujours présent. Les camions de Netcom et Extranet, pour les communes hors du centre de la capitale,  ne passent pas régulièrement, ce qui génère un manque à gagner dans leur mission». Doit-on ainsi accuser  les entreprises chargées du nettoiement  comme seules fautives d’une  pareille situation ? C’est un tort. A y voir de près, l’on constate qu’il s’agit d’une équation où trois intervenants sont connus : les Epic Netcom et Extranet, les municipalités et les citoyens. Une responsabilité partagée dont la coordination apporterait une solution certaine.

Un budget colossal

Depuis 2013, 4.000 milliards de centimes ont été débloqués par le Trésor public au profit de l’hygiène et la propreté de la capitale. Un montant ne pouvant laisser indifférents les contribuables mais montrant parallèlement toute la volonté des pouvoirs publics  à cet égard. Pour le DG de Netcom, Ahmed Belalia, «le programme destiné à la gestion des déchets ménagers est suivi scrupuleusement. Si des retards sont parfois enregistrés dans les rotations, ceci peut trouver son explication dans le problème de circulation routière que vit la capitale, sachant que les centres d’enfouissement sont éloignés qu’ils soient à l’est ou à l’ouest de l’Algérois. Nos équipes de contrôle suivent les rotations et des comptes rendus sont établis quotidiennement. En revanche, il faut  le rappeler, beaucoup de citoyens ne respectent pas les horaires de ramassage et sortent leurs poubelles à tout moment de la journée, ce qui non seulement perturbe le planning des rotations donnant lieu à ce décor hideux  de bennes et bacs saturés». Revenant sur le tri sélectif dont la campagne a été lancée depuis quelques jours, le responsable se «désole de voir les citoyens n’accorder aucune importance à un geste simple mais d’une très grande utilité à la gestion de l’hygiène publique. En ne séparant pas les différents déchets qu’il génère en les mettant tous dans le même sachet-poubelle, le citoyen ne se rend pas compte de tout le travail qu’il donne aux agents chargés du tri en aval de l’opération de traitement.» Dans ce cadre, le responsable a  rappelé que le tri sélectif sera opérationnel au niveau de toutes les communes sous sa  compétence territoriale, soit 26 municipalités, Extranet en compte 31. Des bacs et bennes seront installés à cet effet indiquant la nature des déchets à y déposer(organiques, plastique, carton et papier, pain). Une opération a été lancée récemment par la commune  d’Alger-centre, mais selon le DG de Netcom, l’APC s’est empressée dans ce sens alors qu’il fallait d’abord mener une sensibilisation auprès des foyers. A rappeler, à ce titre, que Netcom a mobilisé des équipes, essentiellement des jeunes femmes dans la majorité des quartiers de la capitale. Le tri sélectif est expliqué aux ménagères comme étant une solution écologique dans le traitement des déchets ménagers dont la quantité ne fait qu’augmenter par le fait de la démographie. Un million de tonnes de déchets ont été ramassées par les services concernés durant les dix premiers mois de l’année en cours. En période des fêtes, des records sont battus. Avec le tri sélectif, non seulement il y aisance dans le traitement mais, en plus, l’opération permet d’engranger de l’argent provenant de la récupération, notamment du plastique, du carton et papier. Des chiffres citent une valeur de près de 40 milliards représentant le montant issu de la récupération des emballages.  De l’argent qui servira au moins dans la maintenance du matériel.

Qu’en pensent les Algérois ?

Parler de la propreté et de l’environnement immédiat fait délier les langues plus facilement que tout autre sujet. La critique est aisée mais l’art est difficile, et c’est à croire que ça n’arrive qu’aux autres. Un dicton bien de chez nous dit «Ma s’hel el fas fi yeddine ennas» qui se traduit par : la pioche dans la main d’autrui semble chose facile). Tout le monde s’accorde à reconnaître que la capitale croule sous les ordures. Pourtant, à quelques exceptions, c’est tout le monde qui en est responsable mais on s’accuse mutuellement. Les marchands de fruits et légumes, légaux et informels, du marché Trois Horloges, à Bab El Oued,  sont accusés de laisser  en fin de journée leurs déchets sur place. Les ménages ne respectant pas les horaires de ramassage saturent les bennes à ordures par le fait d’un usage anarchique. Et tout ce beau monde montre du doigt Netcom de ne pas faire son travail correctement. Une accusation rejetée par ce père de famille, un habitué du marché. «Les camions de Netcom

passent régulièrement mais c’est plutôt la faute aux marchands et des citoyens. Je connais personnellement une famille réputée pour sortir la poubelle plusieurs fois par jour. Imaginez une dizaine de familles dans ce cas, il leur faudra à elles seules tous les bacs du quartier. C’est pour cette raison que les bennes débordent à longueur de journée», confie-t-il.

Au marché Ali-Mellah, le plus fréquenté du centre de la capitale, la situation n’est guère meilleure. Entre les deux blocs composant cet établissement, le  couloir devant servir uniquement de passage aux clients est occupé par des vendeurs de poisson côtoyant une benne géante exposant à ciel ouvert un assortiment de vieux légumes et de restes de viande et de volaille, le tout baignant dans un cloaque  que les passants ont du mal à enjamber.  Les petits poissonniers ne se gênent pas pour vanter la fraîcheur de leurs produits et certains clients par les prix alléchés et non regardants sur l’état des lieux succombent à la réclame. Même la sacralité dédiée généralement au pain est reléguée. «Regardez ces sachets pleins de ‘Naâmet Rebbi’ ! nageant dans une eau boueuse», fait remarquer un vieux. Ce pain dont tous les constituants sont importés à coups de devises fortes finit à côté des poubelles. Des centaines de tonnes jetées par an. C’est vrai que les statistiques disent que l’Algérien jette la moitié de ce qu’il achète. Sommes-nous donc un peuple gaspilleur ? Sid Ali, la quarantaine, pense que oui. «Un coup d’œil dans les décharges, dit-il, renseigne qu’en plus du pain, beaucoup de  nourriture  finit dans les bacs à ordures. Et puis, il y a cette saleté produite par ce que nous ne consommons pas. Toutes les communes de la capitale sont sales. A mon avis, il faut réhabiliter la police communale et les récalcitrants doivent payer».

La démission des APC

S’il est avéré que la grande majorité des quartiers de la capitale est confrontée au problème d’hygiène publique, que faut-il dire de sa  prise en charge par les communes ? Pour un élu de Sidi-M’Hamed, la question «relève, certes, de l’autorité locale tenue d’offrir un cadre de vie correct à ses administrés mais pour ce qui est du volet de la gestion des déchets ménagers, il existe des Epic ayant à charge cette mission.» «Nous constatons comme tout le monde cette situation déplorable. Toutefois, soyons objectifs et reconnaître une grande part de responsabilité des citoyens à ce sujet. S’il y avait plus de rigueur, on n’en serait pas là». Pas tout à fait d’accord, confie un autre élu, jugeant que l’hygiène et la propreté de la cité sont l’affaire de tous, les autorités en premier lieu en offrant les moyens nécessaires et en sévissant parallèlement. «Un retour à l’arrêté municipal ne serait pas de trop», conclut l’élu.

Ali  Fares