Les rentiers du pétrole de 1963 à 2010 en Algérie

Les rentiers du pétrole de 1963 à 2010 en Algérie

files.php.jpgPour les lecteurs de LeMatinDZ, le docteur Abderrahmane MEBTOUL, expert International économiste, revient sur deux ouvrages intéressants qui méritent débats et qui viennent de paraitre entre juin et septembre 2010 en France (1) sur un sujet brulant d’actualité : les liens entre la rente des hydrocarbures en Algérie et les politique socio-économiques.

« Ces deux ouvrages renvoient à la nature du pouvoir en Algérie , rejoignant mes contributions produites entre 1993/1995 et reproduite dans un de mes ouvrages (2), nous dit l’auteur.

Je ne saurai trop insister que l’économie, comme nous l’ont appris les grands classiques de l’économie Adam Smith, David Ricardo, Malthus, JB Say, Karl Marx et plus près de nous Joseph Schumpeter et Keynes, est politique et que l’histoire fondement de la connaissance ne se découpe pas en morceaux, existant des imbrications dialectiques au cours du temps. C’est l’objet de cette modeste et brève contribution. »

1- La période de 1962 à 1979 où l’économie socialiste spécifique

C’est de l’hymne à la liberté chantée en I962 dans les rues de l’ensemble de l’Algérie indépendante, les espoirs suscités par le socialisme spécifique à l’algérienne, l’autogestion des domaines des colons qui devait élever la production, restituer les paysans dans leur dignité, mais aussi les luttes de pouvoir entre l’Intérieur et l’Extérieur des différents clans. Le 19 juin I965, le Président élu auparavant est destitué et c’est le discours du sursaut révolutionnaire du fait que l’Algérie serait au bord de la faillite. Il fallait la redresser, grâce à un pouvoir fort qui résisterait aux évènements et aux hommes, à travers trois axes : la révolution industrielle, la révolution agraire, et la révolution culturelle, en prenant comme base le plan économique du programme de Tripoli qui repose sur la dominance du secteur d’Etat, comme fer de relance de l’économie nationale, à travers les grosses sociétés nationales.

Ceux sont les discours triomphants de constructions des usines les plus importantes du monde, du bienfait de la révolution agraire, garantie de l’indépendance alimentaire, de l’école et de la santé pour tous et de la promesse solennelle que nous deviendrons, horizon 1980, le Japon de l’Afrique avec les lancements du plan triennal 1967-1969,du premier quadriennal 1970-1973 et du second quadriennal 1974-1977. Le système d’information, socio-éducatif participait à ces slogans idéologiques, comme façonnement des comportements.

Nous assistons aux discours de la vertu des fameuses industries industrialisantes avec la priorité à l’industrie dite lourde et au niveau international l’Algérie leader du nouvel ordre économique international dans sa lutte contre l’impérialisme cause fondamentale du développement du sous développement.

Et voilà qu’après la mort du Président après une longue maladie et une lutte de pouvoir qui se terminera par un compromis, et la venue d’un nouveau président , qu’en 1980 , nous apprenons de la part des responsables politiques que cette expérience a échoué et que la période passée était une décennie rouge. Les nombreuses commissions dont les résultats sont jetés dans les tiroirs après des exploitations politiques contribueront à ces dénonciations.

Du fait de la compression de la demande sociale durant la période précédente et surtout grâce au cours élevé du pétrole, les réalisations porteront sur les infrastructures, la construction de logements et l’importation de biens de consommation finale avec le programme anti-pénurie avec la construction sur tout le territoire national des souks fellahs. L’Algérie ne connaît pas de crise économique selon les propos télévisés un d’ex Premier Ministre, qui touchait en ces moments les pays développés avec un baril en termes de parité de pouvoir d’achat 2010, équivalent à 70/80 dollars.

C’est alors l’application mécanique des théories de l’organisation, en les fractionnant car les grosses sociétés nationales ne seraient pas maîtrisables dans le temps et l’espace.

En 1986, Mais, la population algérienne contemple l’effondrement du cours du pétrole les listes d’attente et l’interminable pénurie. Et voilà que nous avons un autre discours : les algériens font trop d’enfants, ne travaillent pas assez.

C’est à cette période que s’élaborent les premières ébauches de l’autonomie des entreprises publiques avec la restructuration organique. L’on fait appel à la solidarité de l’émigration que l’on avait oubliée. IL s’ensuit l’effondrement du dinar dont on découvre par magie que la parité est en partie fonction du cours du dollar et du baril de pétrole et non au travail et à l’intelligence seules sources permanentes de la richesse. On loue alors les vertus du travail, de la terre, l’on dénonce les méfaits de l’urbanisation, du déséquilibre entre la ville et la campagne, et l’on redécouvre les vieux débats entre partisan de l’industrie lourde qui serait néfaste, les bienfaits de l’industrie légère et la priorité à l’agriculture dont on constate le niveau alarmant de la facture alimentaire.

Et comme par enchantement c’est le slogan de l’homme qu’il faut à la place qu’il faut et au moment qu’il faut.

2-La période historique de 1988 à 1999 : crise politique et économique

Octobre I988 conséquence de la crise de 1986 qui a vu s’effondrer les recettes d’hydrocarbures de 2/3, contredit ces discours populistes, et c’est le début timide d’une presse libre et d’un multipartisme que l’on tente de maîtriser par l’éclosion de Partis (une famille pouvant fonder un parti avec des subventions de l’Etat) avec la naissance d’une nouvelle constitution en 1989 qui introduit des changements fondamentaux dans notre système politique qui avait un caractère monocratique depuis l’indépendance conférant ainsi à notre système politique un caractère pluraliste.

Elle était cependant porteuse d’une vision hybride de la société, dans la mesure où des articles renvoyaient à des options politico-économiques et politico-idéologiques contradictoires. Sur le plan économique, entre I989-I99O c’est l’application des réformes avec l’autonomie de la banque centrale, à travers la loi sur la monnaie et le crédit, la tendance à la convertibilité du dinar, la libéralisation du commerce extérieur, une tendance à l’autonomie des entreprises et l’appel, très timidement, à l’investissement privé national et international sous le slogan secteur privé facteur complémentaire du secteur d’Etat.

Après le socialisme spécifique, c’est l’économie de marché spécifique avec la dominance du secteur d’Etat soumis à la gestion privée. Effet de la crise économique, nous assistons à une crise politique sans précédent qui couvait déjà puisque un ex chef de gouvernement qui agissait dans le cadre de la Constitution de 1976, amendée en 1989, s’est opposé au Chef de l’Etat refusant de démissionner en invoquant la responsabilité politique de son gouvernement devant la seule Assemblée nationale, qui était au mains du FLN dont le président n’était autre que le même Président.

La crise fut accélérée par des élections législatives, coordonnées par un nouveau chef de gouvernement issu des hydrocarbures. Une explosion sociale s’ensuivit dont l’aboutissement sera la démission de ce Président après plus d’une décennie de pouvoir. Le procès est fait cette fois à la décennie noire de 1980/1990. Et c’est la liste interminable de chefs de gouvernement et de ministres, changement successif du à la profonde crise qui secoue le pays.

C’est la naissance du Haut Comité d’Etat (HCE), la venue d’un historique et figure charismatique qui donnera une première lueur d’espoir, présidera à peine six mois le HCE avant d’être assassiné, son remplacement par un autre membre du HCE, avec parallèlement, un Conseil Consultatif faisant œuvre de parlement désigné.

L’on rappellera comme chef de gouvernement le père de l’industrie lourde des années I97O qui prônera l’économie de guerre. Son départ fut rapide du fait de la cessation de paiement. Lui succèdera un premier ministre membre du HCE artisan du programme de Tripoli qui signera l’accord de rééchelonnement avec le FMI, démissionnant tout juste après, l’Algérie étant en cessation de paiement n’ayant pas de quoi acheter un kilo de farine . Les accords avec le FMI verront une baisse drastique de la valeur du dinar (75% environ).

C’est durant cette période qu’est signé l’accord pour le rééchelonnement de la dette en mai 1993 avec le Club de Paris( dette publique) et le Club de Londres (dette privée ), accompagné d’un Programme d’ajustement structurel (PAS) entre l’Algérie, le FMI, la Banque mondiale (BIRD) et l’Union européenne afin de remédier aux déséquilibres de la balance des paiements fortement affectée par la chute des cours des hydrocarbures et du poids de la dette extérieure. La période qui suit verra un Chef d’Etat avec un parlement de transition à savoir le C.NT (conseil national de transition) combinaison d’associations et de partis politiques désignés.

Viendront les élections de ce Président axé sur le rassemblement, pour sortir le pays de la crise et une nouvelle constitution (1996) qui va s’attacher à éliminer les éléments de dysfonctionnement de la Constitution de 1989 en encadrant de manière sévère les mutations que je viens de rappeler.

Elle crée la seconde chambre, dite Conseil de la Nation, et par le truchement de l’article 120, lui donne pratiquement le pouvoir de bloquer un texte de loi voté par la première chambre, l’APN. Mais fait nouveau et important, elle limite le mandat présidentiel à deux étalé sur cinq années.

Mais nous sommes toujours dans la même ambiguïté politique en maintenant le caractère dual de l’Exécutif,( ni régime parlementaire, ni régime présidentiel) tout en consolidant le système de Conseils existants dont l’institution d’un Haut Conseil Islamique et d’un Haut Conseil de Sécurité qui est présidé par le président de la République.

C’est à cette période que naît le Parti le rassemblement national démocratique (R.N.D) dont le fondement du discours est la lutte anti-terroriste qui raflera presque tous les sièges en 8 mois d’existence tant de l’APN que du Sénat au détriment du Parti FLN et qui provoquera par la suite des protestations interminables et une commission sur la fraude électorale dont les conclusions ne verront jamais le jour. Les parlementaires du fait de la situation sécuritaire de l’époque, auront surtout pour souci de voter pour soi même des rémunérations dépassant 15 fois le SMIG de l’époque alors que la misère se généralise, oubliant naturellement du fait de la généralisation des emplois- rente, qu’un parlementaire aussitôt sa mission terminée retourne à son travail d’origine et qu’une retraite automatique revient à afficher un mépris total pour une population meurtrie.

Dans la foulée, la venue de deux chefs de gouvernement dont le premier technicien pratiquera le statut quo et le second l’application des accords du FMI qui aura à son actif le cadre macro-économique stabilisé mais avec des retombées sociales négatives du fait de la douleur de cet ajustement.

3-La période historique de 1999 à 2010 : la rente toujours la rente

Ce président démissionne et des élections sont programmées le 08 avril I999 avec l’élection d’un Président qui promet de rétablir l’Algérie sur la scène internationale, de mettre fin à l’effusion de sang et de relancer la croissance économique pour atténuer les tensions sociales qui sera matérialisé plus tard par le référendum sur la réconciliation nationale avec un vote massif en faveur de la paix.

Un chef de gouvernement est nommé après plus de 8 mois d’attente mais son mandat sera de courte duré, à peine une année, du fait des conflits de compétences. Un second chef de gouvernement lui succèdera mais qui démissionne, tout en se présentant candidat à la présidence avec comme conséquence une dualité dans les rangs du FLN dont il est tissu.

Il est remplacé par le Secrétaire Général du RND. Viennent ensuite les élections du 08 avril 2004 qui sont largement remportées par le précédent Président avec trois chefs de gouvernement successifs : premièrement le secrétaire général du RND qui a été chargé des élections de 2004, puis le secrétaire général du FLN courant 2007, ce Parti avec les élections successives étant devenu majoritaire tant au niveau de l’APN que du Sénat, avec peu de modification dans la composante ministérielle puisque l’ancien chef de gouvernement n’a pu nommer aucun ministre entre mai 2006 et juin 2008, assistant d’ailleurs à la même composante à quelques variantes près depuis 10 années, idem pour les walis et les postes clefs de l’Etat.

Puis à nouveau courant 2008 voilà le retour du secrétaire général du RND qui précisons le, sera chargé des élections d’avril 2009. C’est également durant cette période courant novembre 2008 qu’est amendée la constitution, non pas par référendum mais à la majorité des deux chambres, les députes et sénateurs se feront comme leurs prédécesseurs voter un salaire de plus de 300.000 dinars par mois, plus de quatre fois le salaire d’un professeur d’université en fin de carrière.

Cet amendement ne limite plus les mandats présidentiels, tout en supprimant le poste de chef de gouvernement en le remplaçant par celui de premier ministre consacrant un régime présidentiel. Dans la foulée l’élection présidentielle s’est tenue le 09 avril 2009 où l’ancien président est réélu pour un nouveau mandat de cinq années (2009/2014) en promettant la création de trois millions d’emplois durant cette période et d’augmenter le pouvoir d’achat des Algériens. Mais fait nouveau, une crise mondiale sans précédent depuis la crise d’octobre 1929 est apparue en octobre 2008. Comme en 1986, courant 2008/2009 différents responsables politiques déclareront à la télévision officielle que la crise ne touche pas l’Algérie du fait de la non connexion avec le système financier mondial, de la non convertibilité du dinar et de l’importance des réserves de change oubliant la chute des cours des hydrocarbures qui représente plus de 98Þs recettes en devises et que les dépenses réelles c’est-à-dire le plan de financement est largement tributaire du cours des hydrocarbures.

C’est également durant cette période où nous assisterons à deux politiques socio-économiques contradictoires : la période 2000/2004 où existe une volonté de libéralisation du moins à travers les textes juridiques avec l’accord signé pour une zone de libre échange avec l’Europe applicable depuis le 01 septembre 2005, une nouvelle loi sur l’investissement , sur la privatisation , les lois sur l’électricité et le transport du gaz par canalisation et l’amendement de la loi sur les hydrocarbures autorisant l’investissement étranger sans limites.

Revirement durant la période 2006/2010 où sous la couverture du patriotisme économique est amendée la loi des hydrocarbures qui postule pour ce segment que la Sonatrach sera majoritaire au moins de 51% tant à l’amont, l’aval que pour les canalisations , la loi de finances complémentaire 2009 avalisée par la loi de finances 2010 où est introduit la préférence nationale avec pour le commerce 70% pour les Algériens et 30% pour les étrangers et pour les autres secteurs 51% pour le national minimum et 49% pour les étrangers y compris pour les nouvelles banques étrangères ainsi que des mesure d’encadrement des transferts de capitaux .

Dans ce cadre, le 11 juillet 2010 est adoptée la réglementation des marchés publics, prévoyant la marge de préférence nationale passant de 15% à 25%. En fait c’est le retour au tout Etat gestionnaire, à ne pas confondre avec l’Etat régulateur stratégique en économie de marché, le privé local de la sphère réelle ayant des capacités financières, technologiques et managériales fortement limitées, fortement connecté au secteur public par des relations de clientèles.

4. Urgence d’une gouvernance renouvelée

Visibilité, visibilité, cohérence, cohérence, bonne gouvernance, bonne gouvernance, revalorisation du savoir, revalorisation du savoir, moralité, moralité, tels sont les axes fondamentaux du redressement national.

C’est que face tant aux mutations mondiales qu’internes à la société algérienne, cette jeunesse “parabolée”; a une autre notion des valeurs de la société. Cela se constate à travers l’éclatement de la cellule familiale, la baisse progressive du poids des tribus, de certaines confréries religieuses et de certaines organisations syndicales, (ces dernières ne mobilisant uniquement pour des revendications sociales et non pour des actions politiques), du fait de discours en déphasage par rapport aux nouvelles réalités mondiales et locales.

Notre analyse montre clairement que le fondement du système, de 1962 à 2010, repose sur la rente des hydrocarbures (cours et cotation du dollar). Les politiques socio-économiques ont peu varié à quelques variantes près, sous le slogan continué dans le changement, l’opposition véritable étant marginalisée et les nombreux micros partis insignifiants, souvent instrumentalisés par l’administration se manifestant qu’au moment des échéances électorales en contrepartie d’une fraction de la rente : industries clefs en main entre 1965/1979 , infrastructures clefs en main durant les périodes 1980/2010 et les différents gouvernements successifs ont été toujours animé par l’extraction des hydrocarbures, malgré bon nombres de discours car supposant un changement profond de politique et donc des réaménagements dans les structures du pouvoir existant des liens dialectiques entre la logique rentière et l’extension de la sphère informelle en extension que l’on ne combat pas uniquement par des mesures techniques de faibles efficacités existant une relation dialectique entre l’avancée des réformes ou leurs freins selon que le cours en termes réels hausse ou baisse.

Les exportations hors hydrocarbures et cela depuis fort longtemps, de moins de 3% du total des recettes devises, 80% de valeur ajoutée composant le produit intérieur brut ( PIB) l’étant directement ou indirectement par le biais de cette rente autant que la fiscalité qui dépasse 70%.

Aussi la solution durable passe par une gouvernance renouvelées, et la valorisation du savoir dévalorisée , la récente enquête , inquiétante, l’importante revue américaine Foreign Policy de juillet 2010 précisant que l’élite algérienne est malmenée par les difficultés de la vie, la marginalisation sociale, classant l’Algérie parmi les plus vulnérables au monde avec une note de 8,6 sur 10 pour la disparition et la dispersion de l’élite, s’agissant d’une des notes les plus mauvaises du monde et de conclure : les très bas salaires et l’environnement politique défavorable hypothèquent l’avenir de l’Algérie qui risque de se retrouver sans son intelligentsia pour construire son avenir.

Or, ces deux facteurs sont déterminants pour le développement véritable en ce XXIème siècle, tenant compte de la concurrence et de cette mondialisation irréversibles, le principal défi étant la maitrise du temps. En fait réussir la transition implique la refonte de l’Etat.

Or comme le rappelle avec justesse Malek Chebel (Interview à El Watan 20 aout 2010) « l’Algérie à l’instar de bon nombre de pays musulmans est en transition et fonctionne entre l’imaginaire de la Oumma et la construction d’un Etat-nation ».