Antar Yahia : «Bouteflika m’a dit que j’ai un prénom lourd à porter»

Antar Yahia : «Bouteflika m’a dit que j’ai un prénom lourd à porter»

12636_220539878792_121583493792_4101967_5423354_n.jpgBeaucoup avait été dit sur la tension qui allait caractériser la confrontation Egypte-Algérie, mais sincèrement, vous attendiez-vous à être accueillis avec des pierres ?

Franchement, non. Certes, je savais qu’il y avait une rivalité entre l’Algérie et l’Egypte et j’étais conscient qu’il y aurait de l’hostilité, mais pas au point de se voir frappés jusqu’à être blessés. Dans un coin de ma tête, j’ai toujours gardé le discours tenu par les Egyptiens durant le match aller, à savoir que nous étions des frères et que la rivalité ne dépasserait pas le cadre du terrain, mais nous avons découvert un tout autre visage. Je ne m’attendais tout de même pas à être accueilli avec des fleurs, mais qu’on nous accueille avec des pierres, cela dépasse tout entendement.

Cela vous a secoués ?

Oui, beaucoup. Dans le bus, tout le monde s’est couché par terre. On nous bombardait de pierres et j’ai entendu Lounès Gaouaoui crier : «Ce n’est pas possible ! On se croirait à Gaza !» C’était invraisemblable, mais malheureusement vrai.

Une fois arrivés à l’hôtel, avez-vous été pris de panique ?

Non. Nous cherchions surtout si les Egyptiens qui nous avaient agressés étaient là. Nous voulions en découdre avec eux pour leur montrer qu’on n’a pas peur. Vous savez, pour avoir vécu ensemble à l’occasion de plusieurs stages, je connais tous mes coéquipiers en sélection : ce sont des gens de bonne famille, de vrais «ouled aâyla». Seulement, il ne faut pas nous chercher. Tous, autant que nous sommes, ne sommes pas nés avec une cuillère d’argent à la bouche. Nous ne sommes pas des tchitchis ni des peureux. Alors, nous nous sommes tous mobilisés pour leur montrer que nous n’avions pas peur d’eux.

Avant de monter vers vos chambres, vous avez scandé «One, two, three ! Viva l’Algérie !» Etaient-ce les joueurs qui scandaient ainsi ou bien tout simplement des Algériens ?

A ce moment-là, nous étions des Algériens avant tout. «Hagrouna» et nous avons voulu leur montrer que nous n’avions pas peur. Ce qui a déclenché et encouragé ces scansions, c’était une femme qui s’était mise à lancer des youyous. Vous ne pouvez pas savoir à quel point cela m’a galvanisé, car je me suis rappelé une anecdote que je vous ai déjà racontée : avant le match aller contre l’Egypte, lorsque nous étions arrivés à l’hôtel militaire de Blida, on nous a accueillis dans une grande salle où étaient accrochés des portraits de martyrs de la Révolution, avec les youyous des femmes. Quand la bonne femme a lancé son youyou à l’hôtel, au Caire, je me suis remémoré mon grand-père martyr et j’ai chanté kassamane. C’est venu comme ça, wallah.

Cette agression a-t-elle influé négativement sur votre moral lorsque vous êtes rentré sur le terrain le jour du match ?

Pas vraiment. Je n’étais pas surpris que le stade soit plein. Ce qui m’a surpris, c’était de lire la haine dans le regard de chaque supporter, de chaque policier et de chaque officiel égyptien. J’admets que les Egyptiens supportent leur équipe, mais il m’a semblé qu’ils voulaient surtout que l’Algérie ne passe pas. Déjà, il y a eu une marque d’irrespect flagrante : au moment de l’hymne national algérien, on a coupé le son. On n’a même pas pu écouter l’hymne de notre pays. Que les Egyptiens le sifflent, c’est leur problème, mais au moins qu’on nous permette à nous, joueurs algériens, de l’écouter. Même ça, nous ne l’avons pas eu.

Est-ce cette frustration et cette colère qui expliquent que vous ayez encaissé un but très tôt ?

Je ne sais pas, mais il est sûr que nous avons fait une mauvaise entame de match. Nous les avons trop laissés jouer et nous avons encaissé un but. La preuve que c’est nous qui le leur avons offert : nous avons fait du jeu par la suite et nous avons eu des occasions et ils n’ont marqué le deuxième but qu’à la 90’+5. C’est dire qu’ils n’étaient pas si forts que ça.

Lors de la deuxième mi-temps, on vous a sentis plus libérés, à tel point que vous avez eu des occasions et que vous aviez tenu presque jusqu’à la fin. Quand même, vous avez surmonté la tension et lutté pour la qualification…

Oui, nous voulions nous qualifier au Caire, mais il y a eu ce deuxième but. Sur le coup, nous avons été déçus, mais au final, je me dis que Dieu l’a voulu ainsi pour du bien : si nous nous étions qualifiés chez eux, je ne sais pas ce qui serait advenu de nos supporters. Déjà, sans nous être qualifiés, ils ont été agressés dehors. Vous imaginez alors si nous étions qualifiés ! Non, c’était la Volonté de Dieu. «Aâssa an takrahou chay’ane wa houwa khayroun lakoum» (il nous l’a dit en arabe –à quelque chose malheur est bon-, ndlr). La victoire à Khartoum est savoureuse, dans la mesure où nous avons gagné sur le terrain, un terrain neutre, sans mettre nos supporters en danger.

La déception que nous avons lue sur vos visages à la fin de la rencontre du Caire était-elle une forme de résignation ?

Non. C’était juste la déception d’être passés à une minute de la Coupe du monde, mais cela ne nous a pas du tout découragés. Nous nous sommes remobilisés mutuellement. Karim Ziani nous a dit : «Nous avons perdu, mais nous ne sommes pas éliminés. Nous allons repartir à 0-0. A Khartoum, nous les battrons.» Déjà, dans le bus, nous étions concentrés sur notre match du Caire. D’ailleurs, en constatant qu’on nous a fait attendre dans le bus près d’une heure avant de nous ramener à l’hôtel et qu’on nous lançait encore des pierres sur le chemin, cela nous avait fortement motivés. Le soir, au dîner, nous recommencions à rigoler et à nous chambrer. Pour nous, l’aventure du caire était terminée et il fallait penser à Khartoum.

A Khartoum, l’accueil a été tout autre quand même…

Ah, oui ! Les Soudanais ont été très gentils avec nous. De plus, Mohamed Raouraoua nous a mis dans un très bon hôtel où nous avions pu pleinement nous concentrer. Khartoum, c’était vraiment différent.

Et le match, il l’a été ?

Oui, très. Déjà, la présence de nos supporters nous a galvanisés et a perturbé les Egyptiens. Les conditions étaient réunies pour un match propre, sans casse et sans jeu de coulisses. Malgré cela, les Egyptiens ont joué aux princes en entrant sur le terrain en descendant d’une tribune sur un tapis rouge, alors que notre équipe est sortie du tunnel menant aux vestiaires. Vous ne pouvez pas savoir à quel point cela m’a énervé. Ils se prennent pour qui pour arriver sur tapis rouge ?

Les avez-vous salués lors de la présentation des équipes ?

Non, pas du tout. Déjà, lorsque l’hymne algérien allait être entonné, j’ai demandé à mes coéquipiers de tourner le dos aux Egyptiens. C’était un geste hautement symbolique. Cela tombait bien puisque nous nous sommes tournés vers nos supporters. Puis, j’ai refusé de serrer la main aux joueurs égyptiens, sauf à Abou Trika. Je lui ai serré la main en lui disant : «Toi, tu le mérites parce que tu es un homme.» Il m’a dit qu’il ne fallait que je sois aussi sévère, mais je lui ai répété qu’il était le seul que je respectais parmi ses coéquipiers.

Ses coéquipiers justement ont-ils apprécié que tu ne leur serres pas la main ?

Non, bien sûr, et, frustrés de voir leurs mains tendus pour rien, ils me repoussaient de la main. Je n’en avais cure. C’était pour moi une position de principe. Ont-ils demandé de nos nouvelles lorsque nous avons été agressés ? Sont-ils venus nous saluer à la fin du match du Caire ? Non, ils ne l’ont pas fait. Donc, je n’ai pas à me montrer respectueux envers des gens qui ne le sont pas avec moi.

Est-ce pour cela que Mohamed Zidan a déclaré que vous avez manqué de respect à sa mère ?

Zidan sait très bien ce que je lui ai dit et, surtout, pourquoi je le lui ai dit car il a omis de préciser de qui est venue la provocation. Cela dit, pour lui répondre, je ne suis pas Materazzi. Je ne l’ai pas délibérément provoqué pour qu’il soit expulsé. Il sait ce qui s’est passé entre nous. Dommage car, au match aller, il n’a pas été très hostile. Cela dit, je ne parlerai plus de cette personne. Cela serait lui donner plus d’importance qu’il n’en mérite. Moi, je ne reconnais qu’un seul Zidane, avec un «e» à la fin, et il est algérien.

Racontez-nous votre but. A la base, il y avait un coup franc au milieu de terrain qui a été joué à terre et vous devriez, logiquement, revenir en défense. Pourquoi ne pas l’avoir fait ?

C’était vrai que j’étais monté en attaque en croyant à un coup franc long, mais lorsque j’ai vu Mansouri jouer la balle à terre sur Meghni, je me suis dit : «Attends quand même que l’action de jeu se termine.» Meghni a remis sur Ziani qui a fait une diagonale vers Ghezzal et moi. Ghezzal allait prendre la balle, mais je lui ai crié «Laisse-là!» Non seulement il l’a laissée, mais il a en plus gêné un défenseur qui étaient face à moi. Quand j’ai vu le ballon devant moi, j’ai frappé de toutes mes forces. J’ai vraiment senti l’énergie de 36 millions d’Algériens à mon pied. Lorsque le ballon a ricoché sous la barre, je me revoyais enfant, jouant au foot et rêvant d’aller en Coupe du monde. C’est l’image qui m’est venue instantanément.

Vous étiez sûr de la victoire après ce but ? Vous n’avez pas craint un retour des Egyptiens ?

C’était le genre de match où le premier qui marque a de grandes chances de l’emporter. Après le but, nous savions qu’il nous fallait nous battre sur chaque centimètre du terrain. Nous avons fait quelques tentatives pour mettre un deuxième but qui tuerait le match, tout en restant prudents, car il y avait quand même un adversaire derrière.

Il y a eu quand même un peu de panique lorsque vous êtes sorti à un quart d’heure de la fin du match…

Je n’ai pas voulu prendre de risques. Lors d’une course avec un adversaire, j’ai senti le muscle de l’adducteur qui se tendait. Je me suis dit que s’il y aurait un duel avec un attaquant adverse et que mon muscle lâcherait, cet attaquant pourrait partir seul et marquer.

Ne voulant pas pénaliser mon équipe, j’ai demandé à sortir. Je l’ai fait en toute confiance car j’étais convaincu que, quel que soit le défenseur qui allait me remplacer, que ce soit Zaoui ou Laïfaoui ou même un attaquant, il allait assurer. C’était un match où tout le monde, même ceux qui n’étaient pas sur la feuille de match, auraient répondu présents ce jour-là. Je n’étais pas du tout inquiet sur ce point-là.

La joie du retour, comment l’avez-vous vécue ?

Déjà, avec l’émotion de trouver mon père et ma mère à l’aéroport. J’ai été touché de les voir me héler en descendant de l’avion. Et puis, il y a eu cet accueil populaire extraordinaire et indescriptible. Etre accueilli par le peuple, puis par le président de la République est un honneur incommensurable.

Justement, que vous a dit Abdelaziz Bouteflika ?

(Il rit) Il m’a dit que j’avais un prénom lourd à porter.

Est-ce par rapport au légendaire Antar Ibn Cheddad ?

Certainement. Je lui ai répondu que la responsabilité de représenter le pays est encore plus lourde à porter.

Entretien réalisé à Bochum par Farid Aït Saâda