5e laboratoire d’Alger, atelier de réalisation documentaire: Portraits de héros ordinaires

5e laboratoire d’Alger, atelier de réalisation documentaire: Portraits de héros ordinaires

Par 

C’est en présence du nouvel attaché culturel et audiovisuel de l’ambassade de France que s’est tenu lundi dans une salle comble le rendu des trois semaines de travail avec des jeunes réalisateurs algériens en herbe… placé sous le signe du courage.

Pour la cinquième année consécutive, l’Institut français d’Algérie et le festival Premiers plans d’Angers organisent le Laboratoire documentaire d’Alger – atelier orienté vers la réalisation documentaire et la pratique du son. Depuis 2014, une cinquantaine de professionnels algériens ont ainsi été accompagnés dans l’écriture et la réalisation de films documentaires qui sont projetés en Algérie puis en France au festival Premiers plans d’Angers. Aujourd’hui, nombre de ces films circulent dans plusieurs festivals à travers le monde et obtiennent des prix. Cette année encore, trois films ont été réalisés dans le cadre du Laboratoire d’Alger par des équipes composées d’un réalisateur, d’un cadreur, d’un ingénieur -son et d’un monteur. Trois films documentaires ont été réalisés par des équipes de quatre professionnels. La session de formation 2018 s’est déroulée en deux temps: du 1er au 3 juillet, repérages et écriture et du 13 septembre au 1er octobre 2018: tournage et montage des films. Lundi premier octobre, il y avait foule à la salle de projection de l’Institut français, amis proches ou cinéphiles sont tous venus assister aux projections en avant-première de ces films qui se sont fait rappelons-le dans un temps record. Mais avant les films, place à la première étape de la soirée, la présentation de la série de photos de trois participants. Notons que le thème imposé cette année pour tout le monde est le courage.

Du son, des images qui s’écoutent

Trad Berssal immortalise en photo un jeune étudiant palestinien dans une résidence universitaire. On le constate, les conditions de vie sont rudimentaires et austères. «Si nous, on connaît le système, pour un étudiant étranger ça doit être encore plus dur…» fait remarquer le réalisateur. Oussama Zouaoui, quant à lui nous introduit dans une clinique où les photos parviennent à raconter le rapport patient/malade dans un cadre assez mesuré, soigné. Enfin Khalid Akhmis nous emmène quant à lui dans une morgue où il prend en photo un laveur dans son décor froid. Place à l’étape 2 du laboratoire doc. Il s’agit du documentaire sonore. Le premier intitulé 24h est signé par Alaeddine Hadj Cherif. Le son qui émane de la discussion entre plusieurs personnes nous fait immédiatement penser à une salle d’hôpital, d’urgence ou de réanimation. Il s’agit du travail d’infirmier dont l’auteur même de cette création en est issu. Khadija Makermal pour sa part nous fait écouter dans Je suis la jeunesse, le dialogue entre deux vieux, de choses et d’autres dont les temps d’aujourd’hui et le rôle de l’éducation des enfants et son impact dans la société. Un dialogue très touchant même s’il se passe d’images. Enfin, dans une troisième forme sonore signée aussi par elle, nous suivons d’emblée le voyage de ce migrant sénégalais qui a tenté de traverser la mer du Maroc pour atteindre l’Europe. Ses aventures sont étayées par une bande sonore des plus créatives que Khadija a su concocter, le son des mouettes, les vagues, le sable dans le désert… Une belle façon de créer une ambiance et susciter l’imaginaire du spectateur.

Place enfin aux films documentaires. Le premier intitulé Tahiti est celui de la réalisatrice Latifa Saïd. Dans l’aéro-habitat travaille un homme de peau noire arrivé en Algérie clandestinement. Ce dernier fait payer les gens qui montent et descendent dans l’ascenseur.

La liberté de choisir sa voie

Une vue magnifique surplombe la ville de là ou il habite et pourtant il aimerait bien découvrir Alger, faire le touriste, mais il a peur de se faire embarquer par la police et retourner dans le désert. Il se confiera à la réalisatrice tout au long du film en voix off. Parfois c’est un rire nerveux qui vient ponctuer son témoignage, parfois c’est la déception dans la voix quand il parle de l’Algérie et son système politique actuel punitif envers les migrants subsahariens. Et pourtant, Tahiti ne s’avoue pas vaincu, il lutte dans son quotidien, travaille, a trouvé où il habite, même si c’est loin d’être le luxe. Loin des images qu’on nous a habitués à voir des migrants, cet homme ne mendie pas, il gagne sa vie, va chez le coiffeur tout en espérant un avenir meilleur. Si le film tâtonne au début, il nous renverra après une image assez intéressante, par la suite, de cet homme dont la caméra a su apprivoiser et, voire s’oublier enfin, même si son côté» intrusif dans la maison pèse un peu par moment et semble se heurter aux frontières des murs comme dans une prison. Sans doute l’effet recherché… Le second film est celui de Lyes Dehliz. Ce dernier dresse le portait d’un homme la cinquantaine, divorcé, qui vit de la mer et à côté de la mer dans une petite baraque à Bologhine. Il se la coule douce, aime la vie qu’il mène et s’en défend de vouloir la changer un jour. Mais une fois la nuit tombée, la fatigue le rattrape.

Le film de Lyes, intitulé El Rays «le capitaine» prend le temps de dessiner le portait psychologique de cet homme autant que son quotidien bercé par le son des vagues. Une vie quasi monotone, mais bel et bien assumée et choisie par cet homme qui se satisfait du peu que le Bon Dieu lui donne en savourant avec son ami un bon plat de poissons qu’il a lui-même péchés. Enfin, le troisième film documentaire présenté est celui de Yanis Kheloufi. Intitulé «une histoire dans ma peau» le jeune réalisateur dresse le portrait du militant engagé et humaniste Farès Kader Affak, propriétaire du lieu Le Sous-Marin. Quand Afek n’organise pas de manifestations culturelles chez lui il récolte des vêtements et tout ce qui est nécessaire pour les enfants et parents démunis. Dans ce film où la caméra contemple, sonde comme celle de Lyès Dehliz, le réalisateur filme aussi le silence qui émane du regard profond de ce personnage pas comme les autres, son côté sombre, tragique, ses angoisses et fantômes du passé, qui l’habitent et qui semblent rôder autour de lui indéniablement. Un voile mystérieux accompagne Kader par cet aura de lumière. Il parle, se confie puis se tait, se remémore, il nous est présenté tantôt de dos et tantôt de face. La caméra se glisse dans son âme pour nous restituer les douleurs de cet homme qui perdit sa mère morte d’une leucémie alors qu’il n’avait que 19 ans et qu’il dut courir les cafés populaires pour demander aux gens de donner un peu de leur sang.

Vagues à l’âme

Ce traumatisme, Kader en fait aujourd’hui sa force puisqu’il est décidé de venir en aide aux autres. Tel un ange mandaté par une force supérieure à accomplir une mission vaille que vaille, même si la tâche est loin d’être une sinécure. L’âme en peine, Kader la rage au ventre, comme en témoigne ce film est un être sensible, mais doublé d’une détermination farouche. Un héros des temps modernes qui n’est pas aussi visible dans ce monde gagné par le gain du profit et la course vers l’image de la richesse matérielle. Farès Kader Affak fait face à tout cela et compte bien se reconstruire tout en reconstituant un fragment de son bébé, ce lieu dont une partie a été emportée lors d’une incendie. Bref, trois films, trois propositions formelles ont été données à voir et à apprécier par le public. Et comme le soulignera un des encadreurs Arnaud Marten, «nous avons pu découvrir du formalisme chez Latifa, alors que Lyès accordait un sens attentif au réel tandis que Yanis penchait beaucoup plus vers la mise en situation ou la mise en scène…»; Notons que la dernière scène qui ponctue le film de Yanis Kheloufi est d’une beauté à couper le souffle. Voir Kader danser sur une musique qui relève de la transe presque est quelque chose d’inédit. De la poésie ici et maintenant comme dans les autres films, qui donne un sens à des images qui forment le cinéma!