16es rencontres cinématographiques de Béjaïa: Du Caire et ses douleurs…

16es rencontres cinématographiques de Béjaïa: Du Caire et ses douleurs…

Hind OUFRIHA

L’Egypte était fortement présente cette année avec trois belles fictions aux style, rythme et temporalité différents…

«Se perdre dans la ville pour mieux se retrouver» pourrait résumer la thématique des trois films égyptiens projetés durant les 16es Rencontres cinématographiques de Béjaïa. Le premier est Fleur de cactus de la réalisatrice Hala Elkoussy. D’emblée, le regard est saisissant et on le sent proche des femmes. Une jeune femme comédienne et sa voisine vont se retrouver- suite à une catastrophe domestique et une dispute avec la propriétaire de l’immeuble- dans la rue, si ce n’est l’aide précieuse d’un jeune homme dont on ne saura ce qu’il fabrique avec ses camarades que vers la fin. C’est l’histoire de Aïda (33 ans), une actrice de théâtre qui mène une carrière difficile, sa voisine Samiha (70 ans), d’origine bourgeoise, recluse et démunie, et Yassin (20 ans), un jeune homme tourmenté, habitué de la rue. Tous trois se retrouvent ensemble, suite à une inondation qui laisse les deux femmes, sans abri au Caire, dans une ville au bord de l’effondrement. Une histoire de solidarité mais de résistance aussi par l’imaginaire, où la ville devient protagoniste à part entière. Le film peut plaire comme déplaire. Les parties déclinées sous forme théâtralisée ne rajoutent rien à l’histoire, mais nous en éloignent plutôt quelque peu des personnages. La réalisatrice essaye d’inscrire en tout cas en rêverie fantastique ce que la poésie de l’émotion peut imprimer dans l’esprit. Samiha est une femme belle qui appartient au passé. Tout semble faire croire que l’histoire tourne autour de Aïda, mais la ville semble être plus le pendant de Samiha. Celle-ci pourrait symboliser parfaitement cette ancienne Egypte, faste et libre d’esprit, qui se retrouve amochée, aujourd’hui, mais qui ne cherche qu’à retrouver ses repères pour recoller ses morceaux à la fois identitaires et politiques, mais cette période révolue d’une Egypte libre et prospère peut-il revenir un jour? Dans le docu-fiction, Les derniers jours d’une ville, de Tamer El Said, nous sommes en 2009 dans un Caire rempli de manifestations et caractérisé par la montée agressive de l’islamisme.

Khalid, caméra au poing

Khalid, dont la mère est malade et le père ancien journaliste de radio, décide de faire un film documentaire sur sa ville, ses amis et sa famille, mais sans connaître encore la trame ou ce qui le pousse à réaliser ce film.

En captant le pouls battant de cette ville proche de l’explosion, il entreprend d’enregistrer l’âme de la ville pour avoir des traces cette fois de ceux qu’il a aimés et ceux qu’il aime encore. Dans une ville qui s’embrase, Khalid tente de trouver un appart et déménager; ilretrouve ses amis dont un est originaire du Liban et deux de l’Irak dont l’un d’entre eux a trouvé refuge à Berlin.

Ces derniers décident de lui envoyer des vidéos pour raconter aussi de là où ils se trouvent leur quotidien. Ils ont tous dans le coeur l’amour de leur ville, mais tentent de vivre malgré tout pour avancer. Tamer voit le monde partir en cacahuète tout comme son histoire d’amour avec Leila qui s’étiole et se termine car cette dernière a pris la décision de partir. Dans une ville chaotique où les images sont exprimées comme dans un reportage, Khalid, caméra au poing, sillonne la ville dans son tumulte pour fuir le vide silencieux qui l’oppresse. Les derniers jours de la ville est empreint des stigmates du désespoir et du flou artistique. Il grouille dans la ville comme il grouille dans l’esprit de Khalid une multitude d’idées noires et de mélancolie. De la douleur naît parfois une fulgurance beauté résultat d’une persévérance acharnée pour décrocher ses droits, mais aussi pour sortir sa tête de l’eau. Les images des manifestations contrastent avec sa personnalité passive et sa force tranquille. Le film donne à voir des plans qui esquissent de magnifiques tableaux avec parfois des gros plans sur les visages de ses amis ou amie. Les derniers jours de la ville traduisent avec force cette torpeur mélancolique qui peut inonder le corps et l’esprit et se renvoie dans les regards des personnages avec une profondeur inouïe. Ainsi, le réalisateur donne à voir de l’amour alors que la violence est juste à côté. De la tendresse alors qu’un homme bat sa femme juste avant. Du départ enfin quand le pays ne sait pas où il va. Et Khalid dans tout ça?

Ces histoires inachevées

Ce dernier cogite dans une ville insensée, perdue comme un fantôme au milieu d’individus, de comportements étrangers et de pensées dont il se sent entièrement extérieur. Khalid marche dans sa ville comme une âme en peine. Le film de Tamer El Said est long, mais si apaisant qu’on aurait aimé qu’il ne se termine jamais… Car il est de ces histoires inachevées qui réjouissent dans leur tourmente tant que cette parenthèse ouverte vous permet de rêver un avenir meilleur… Tamer El Said brosse un tableau triste de sa ville où hommes et femmes ont perdu la notion du bonheur et de la paix. Ils se révoltent et créent une rupture pour apporter le changement dans leur vie.

C’est cette paix intérieure qui viendra à manquer chez les deux personnages principaux du film Ali, la chèvre et Ibrahim de Chérif El Bendary. Un film poignant qui décrit avec une bonne dose d’absurde le road movie de deux jeunes hommes qui entameront le voyage ensemble pour tenter de se retrouver et aller mieux… La particularité de l’un est de posséder une chèvre qu’il idolâtre et dit aimer par-dessus tout et l’autre est atteint de graves maux de tête ou d’acouphènes qui l’indisposent horriblement. Tout deux se révèlent marginaux dans cette société où règne déjà le désordre… D’ailleurs, même le son dans le film est inhabituel. Strident il est comme ce bruit dérangeant qui rend fou.

Décliné comme un conte populaire ce film décrit avec tendresse les failles de la psychologie humaine. Du Caire à Alexandrie et d’autres coins sur la mer Rouge, nos protagonistes vont apprendre à se connaître et comprendre ainsi ce qui ce cache derrière leur traumatisme. Film bouleversant autant qu’il est amusant, l’on en sort touché par la grâce, non seulement celle de la chèvre, mais aussi par la morale que dégage cette histoire qui rappelle combien l’âme d’un être que ce soit humain ou animal est sacrée. L’histoire folle qui se métamorphose en un récit fantastique des plus émouvants.